Alerta Arizona n*6 – Retrouvez les opinions enflammées contre le désert social de De Wever et Bouchez de notre série Alerta Arizona.

Le gouvernement Arizona affirme vouloir stimuler la compétitivité des entreprises en Belgique. Pour ce faire, il se base sur le livre de recettes de l’Union européenne : modération salariale, réforme (démantèlement) des systèmes sociaux et subventions aux entreprises privées. Pourtant, la crise de la zone euro a déjà montré que ce type de politique d’austérité brutale aboutit à des résultats aussi médiocres sur le plan social qu’économique. La promesse selon laquelle un soutien public inconditionnel aux entreprises privées engendrerait davantage de prospérité pour tous a depuis longtemps été démentie. Le fait que l’Arizona ressorte malgré tout cette vieille recette témoigne de son absence de vision stratégique, une carence également manifeste au niveau européen.
Pour se relancer et préparer l’avenir, notre industrie a besoin d’investissements stratégiques. Mais le gouvernement Arizona mise avant tout sur l’assouplissement des réglementations ainsi que sur l’octroi d’avantages fiscaux et de subventions, sans y associer de conditions claires, par exemple en matière d’emploi ou de durabilité.
En outre, les investissements publics restent très faibles. Sous le gouvernement De Wever, les investissements publics ne pourront guère faire plus que maintenir les infrastructures publiques existantes. Les fonds publics d’investissement, tels que la Société fédérale de participations et d’investissement (SFPI), sont censés, selon l’accord de gouvernement, jouer un rôle de soutien aux activités économiques stratégiques, mais ne bénéficient d’aucun moyen supplémentaire.
La seule dépense que le gouvernement semble réellement disposé à accroître concerne l’armée. Même les banques Belfius et BNP Paribas Fortis, dont l’État est actionnaire, doivent servir de vache à lait pour alimenter le budget de la défense, au lieu d’être utilisées comme investisseurs publics stratégiques.
La volonté politique d’exercer un rôle de pilotage économique et industriel reste dramatiquement absente.
Cette politique n’est pas propre à la Belgique. L’agenda de la Commission européenne est lui aussi entièrement axé sur la compétitivité. Et bien que la Commission se désigne elle-même comme une instance d’investissement, elle met davantage l’accent sur l’assouplissement des obligations en matière climatique et sociale pour les entreprises, que sur l’élaboration de programmes d’investissement répondant aux besoins sociaux et écologiques. Plutôt que de s’engager pleinement en faveur de l’investissement public, la Commission se contente de réduire les risques pour les investisseurs privés.
Cette stratégie consistant à distribuer des carottes fait abstraction d’une tendance majeure : les entreprises privées investissent très peu. Entre 2010 et 2023, 841 entreprises européennes cotées en bourse dans des secteurs à forte intensité énergétique ont réalisé pas moins de 2 100 milliards d’euros de bénéfices, dont 1 600 milliards ont été versés à leurs actionnaires (soit 75 % des profits). Une somme colossale que ces entreprises refusent d’investir dans des activités productives créatrices d’emplois et favorisant la transformation vers des procédés de production efficaces et respectueux du climat.
Si les entreprises européennes rencontrent aujourd’hui davantage de difficultés sur le marché international, c’est en grande partie en raison de leur propre refus d’effectuer des investissements tournés vers l’avenir.
Ce constat vaut aussi pour certaines grandes entreprises bénéficiant d’un financement public européen. Entre 2020 et 2023, la Banque européenne d’investissement a accordé 11 milliards d’euros de prêts à sept de ses plus grands clients dans différents secteurs. Durant cette période, ces entreprises ont engrangé 100 milliards d’euros de bénéfices, dont 38 milliards ont été redistribués aux actionnaires.
Il est donc fort probable que les mesures prises en Belgique et en Europe auront peu d’effet sur la relance de l’industrie. Une véritable relance exigerait une intervention beaucoup plus volontariste de l’État, avec une réglementation forte, un soutien public et des investissements assortis de conditions sociales et climatiques contraignantes.
Cela suppose également une stratégie industrielle orientée vers la contribution de l’industrie à la fourniture d’énergie, de transports et de logements abordables pour tous. Mais malgré les crises successives, la volonté politique d’exercer un rôle de pilotage économique et industriel reste dramatiquement absente.
Pour nous opposer à Arizona, nous devons tirer les leçons des gouvernements précédents. C’est durant la dernière législature qu’a vu le jour le Green Deal européen, censé donner une plus grande place au climat dans les priorités politiques. Pourtant, tout comme la politique climatique du gouvernement Vivaldi, ce plan européen a négligé la question cruciale de savoir comment faire en sorte que la régulation et les investissements en faveur de la transition verte permettent aussi de répondre aux besoins de travailleuses et travailleurs et de leur famille : ’assurer des logements, une énergie et des transports à la fois durables et abordables.
Or, plusieurs enquêtes montrent qu’il existe un large soutien à la politique climatique en général, mais que beaucoup de gens s’inquiètent de ses conséquences sur leur emploi, leur mobilité ou leur logement.
Entre-temps, la vie est devenue nettement plus chère pour les ménages à revenus faibles et moyens, et il est de plus en plus difficile de trouver un logement abordable. Le lobby des entreprises a su tirer parti de cette situation pour présenter les politiques climatiques ambitieuses et les autres formes d’intervention publique comme étant « trop coûteuses » dans un contexte de concurrence internationale exacerbée dans les secteurs de haute technologie et à forte intensité énergétique. Pourtant, une transition juste n’est pas un luxe, mais une nécessité absolue pour protéger notre société.
Une autre voie est possible, mais elle requiert une large mobilisation pour changer les orientations politiques. Plutôt que de se mettre au service du lobby des entreprises, nous devons créer une plateforme pour une intervention massive de l’État et de la société elle-même en faveur d’une économie écologique et sociale, où chacun·e a accès à des services de base durables.