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La Flandre, épicentre du conflit de classes dans l’Europe médiévale

Jan Dumolyn

—24 juillet 2023

Vers la fin du Moyen Âge, la Flandre est traversée par une vague de protestations sociales et de rébellion des artisans et paysans, à nulle autre pareille en Europe. C’est là un cas d’école primordial si l’on s’intéresse à l’histoire des conflits de classe.

La Fenaison, Pieter Brueghel l’Ancien.

Entre 1300 et 1600, seules les cités-États italiennes sont en mesure de rivaliser avec les industries artisanales, le commerce et la production artistique du Sud des Pays-Bas, comme le sait tout amateur d’histoire de l’art.

Jan Dumolyn est professeur d’histoire médiévale à l’UGent. Il est notamment l’auteur de De Brugse opstand van 1436-1438 (UGA, 1997) et Staatsvorming en vorstelijke ambtenaren in het graafschap Vlaanderen (1419-1477) (Garant, 2003). Il est également co-éditeur de Brugge: een middeleeuwse metropool, 850-1550  (Sterck & De Vreese, 2019) et a contribué à la série télévisée Het Verhaal van Vlaanderen.

Le visiteur étranger peut encore aujourd’hui retrouver ce paysage urbain médiéval dans des villes belges historiques célèbres telles que Bruges, Bruxelles, Gand et Anvers. Les artistes plasticiens de la région, dits de la Renaissance nordique, sont tout aussi célèbres : Jan van Eyck, Pieter Bruegel et Peter Paul Rubens, sans oublier des artistes féminines moins connues telles que Clara Peeters.

Ce que l’on sait moins, c’est qu’entre le 12e et le 16e siècle, des principautés comme le Comté de Flandre, le Duché de Brabant et la Principauté de Liège ont connu de fréquentes mobilisations collectives populaires. En effet, la Flandre du 14e siècle est probablement la région préindustrielle où les protestations ouvrières et les guerres civiles ont été les plus intenses et les plus fréquentes.

La Flandre du 14e siècle est probablement la région préindustrielle où les protestations ouvrières et les guerres civiles ont été les plus intenses et les plus fréquentes.

Cet article propose un aperçu des tensions sociales en Flandre au cours du Moyen Âge et en examine les différents aspects dans le contexte plus large de la contestation populaire dans l’Europe médiévale.

Le centre de la révolte

La partie méridionale des Pays-Bas historiques couvre approximativement la Belgique et le Luxembourg actuels, ainsi que les régions les plus septentrionales de la France et une petite partie méridionale du royaume néerlandais. Il s’agit d’une zone densément urbanisée. En 1300, on estime qu’entre 30 et 40 % de la population vit dans les villes, ce qui est nettement supérieur à la moyenne de l’Europe médiévale.

Deux révoltes sont particulièrement célèbres : le soulèvement qui aboutit en 1302 à la bataille de Courtrai, au cours de laquelle une milice composée essentiellement d’artisans brugeois révoltés remporte la victoire face à des chevaliers français qui constituent la plus puissante armée de l’Europe médiévale ; et la révolte de la Flandre maritime entre 1323 et 1328.

En 1297, prétextant un conflit de droits féodaux avec son vassal le comte Guy de Dampierre, le roi de France envoie ses troupes envahir le prospère comté de Flandre. Son véritable objectif est de s’emparer des villes de la région, en plein essor économique, et des revenus fiscaux qu’elles fournissent. La classe marchande flamande, en conflit avec le comte depuis un certain temps, soutient l’envahisseur français.

Au début, les artisans de Gand et de Bruges ne réagissent pas à l’invasion. En 1301, cependant, ils se mettent à protester contre les impôts injustes. Les membres de la famille comtale flamande qui ont conservé une petite partie du comté y voient l’occasion de s’allier avec Pieter de Coninck, tisserand et chef rebelle de Bruges.

1302 est souvent présentée comme une lutte nationale plutôt que comme une lutte des classes. Mais elle a été causée par de profondes tensions sociales entre l’artisanat urbain et la classe marchande flamande.

Le 11 juillet 1302, cette alliance improbable élimine l’armée française. Bien que les Flamands soient contraints de négocier un traité de paix injuste, ils restent indépendants. Plus important encore, les artisans ordinaires sont désormais représentés au sein des gouvernements des villes.

Quelques années plus tard, la famille comtale, de plus en plus mal à l’aise dans son alliance avec les ouvriers et les petits producteurs, se range à nouveau du côté des patriciens et de la famille royale française. Cela ravive la colère au sein les masses travailleuses, et plus encore parmi les paysans, qui ont eux aussi des raisons de se révolter contre les impôts.

Entre 1323 et 1328, cela mène à une nouvelle révolte importante qui fédère les classes inférieures et moyennes de la plupart du territoire flamand contre le nouveau comte, qui sera, à un moment donné, retenu prisonnier par ses propres sujets. Mais, avec l’aide de la France, il finit par écraser la rébellion et les villes et les districts ruraux doivent à nouveau s’acquitter de lourdes amendes.

De nombreux historiens considèrent la victoire populaire de 1302 comme un moment clé dans l’autonomie de la Flandre par rapport au seigneur féodal de la région, la France. C’est la raison pour laquelle on l’a souvent présentée à tort comme une lutte nationale plutôt qu’une lutte de classe. Elle est pourtant surtout due à de profondes tensions sociales entre les artisans et les marchands des villes de Flandre.

La révolte de 1323-28 est généralement comparée à la Jacquerie française de 1358 ou à la Révolte des paysans anglais de 1381. Il est aujourd’hui généralement admis que des travailleurs et des membres des classes moyennes des villes ont aussi participé à ces trois révoltes dites « paysannes ».

Pourtant, les historiens médiévaux marxistes ont eu tendance à se concentrer sur la société rurale. Ils ont tenté de disséquer les rapports de production de la société féodale presque exclusivement dans le contexte rural. En fait, les révoltes sociales ont été beaucoup plus fréquentes dans les villes de Flandre, du Brabant et de Liège que dans les campagnes. Il en va de même dans d’autres régions d’Europe.

Les villes dans le système féodal

Du point de vue du matérialisme historique, les villes médiévales ne reçoivent généralement pas la même attention que les campagnes. Elles ne cadrent pas facilement dans une vision conventionnelle du mode de production féodal vu comme un système où une classe de seigneurs s’approprie l’excédent de production des paysans sous le poids d’une pression extra-économique, qu’ils soient classés comme serfs ou libres, ou encore quelque part dans la vaste palette de statuts juridiques et sociaux situés entre ces deux extrêmes.

Bien entendu, cette focalisation sur la vie rurale se justifie dans une certaine mesure. Dans une région moyenne d’Europe médiévale, seuls 10 % au total de la population vivent dans les villes. Mais les villes ne sont pas des « îlots non féodaux dans un océan de féodalité », comme l’a formulé l’historien Michael Postan. Elles font partie intégrante des formations sociales de l’Europe médiévale, en tout cas à partir du 11e siècle.

Vers 1200, dans des villes comme Gand et Ypres, entre un tiers et la moitié de la population travaille dans un seul secteur industriel, l’industrie du tissu.

Les débats marxistes classiques sur la transition du féodalisme au capitalisme, auxquels ont participé des personnalités telles que Maurice Dobb, Paul Sweezy et Robert Brenner, n’avaient pas grand-chose à dire sur la ville médiévale. Il faudra attendre la fin de sa carrière pour que le principal historien marxiste de la société médiévale, Rodney Hilton, ne se mette à réfléchir systématiquement aux modes de production dans les petites villes marchandes d’Angleterre et de France. Il considère, non sans raison, que ces villes représentent les formes les plus typiques de la vie urbaine à cette époque.

L’approche marxiste de l’histoire se trouve donc face à un paradoxe. L’économie et la société urbaines médiévales constituent une formation sociale distincte combinant différents rapports de production, en particulier dans les centres les plus importants tels que Florence, Venise, Gand ou Bruges. Cependant, la ville et la campagne sont également en interaction constante.

Les citadins dépendent évidemment, pour leur alimentation, des surplus produits par les paysans des campagnes environnantes. Plus la population d’une ville est importante, plus l’arrière-pays qui assure son approvisionnement est vaste.

Il en va de même pour les sources d’énergie et les matériaux de construction tels que le bois et la tourbe, ainsi que pour de nombreuses matières premières utilisées dans les industries artisanales des villes. En outre, comme le taux de mortalité est toujours supérieur au taux de natalité dans les villes préindustrielles, les zones urbaines ont aussi besoin d’un afflux constant de migrants pour maintenir ou augmenter leur population.

L’économie de la Flandre médiévale

Pour illustrer ce problème théorique général, nous pouvons prendre le comté médiéval de Flandre comme exemple d’une société féodale avec une très forte composante urbaine. La Flandre se situe dans un paysage plat, au delta de plusieurs grands fleuves. Elle jouit d’une position centrale entre la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne. D’abord sous-développée et infertile, cette région marécageuse de la mer du Nord a connu un essor économique spectaculaire au cours du Moyen Âge, surtout à partir du 11e siècle.

Cette croissance est le résultat de deux facteurs : une augmentation forte et régulière de la productivité agricole, qui a créé un excédent démographique, et le développement d’une industrie textile énergique orientée vers l’exportation et d’une économie de services urbaine pour le commerce. Si l’on retrouve le premier dans d’autres régions européennes, le second est beaucoup moins fréquent, même en Italie, où les villes sont moins industrielles qu’en Flandre.

Vers 1200, dans des villes comme Gand et Ypres, entre un tiers et la moitié de la population travaille dans un seul secteur industriel, l’industrie du tissu. Bruges est devenue la plaque tournante du commerce du nord-ouest de l’Europe et sa connexion avec la Méditerranée.

Durant le Haut Moyen Âge, entre 700 et 1150 environ, la croissance semble avoir été créée principalement par la demande des élites, comme l’a démontré Chris Wickham de manière convaincante. La classe guerrière et le clergé s’approprient les surplus agricoles produits lors de la reprise progressive de l’économie européenne à partir du 8e siècle. Ils utilisent cet excédent pour acheter des produits de luxe et, plus généralement, des marchandises importées.

Toutefois, à partir du 11e siècle, les citadins eux-mêmes commencent à représenter un marché domestique croissant pour leur propre production artisanale. Dans le même temps, les marchandises produites dans des régions comme la Flandre s’exportent sur de vastes marchés interrégionaux et internationaux.

Entre 1225 et 1250, les premières grèves de travailleurs sont documentées dans des villes comme Douai et Gand. C’est plus tôt que partout ailleurs dans l’Europe médiévale.

Cependant, l’essor de marchés industriels médiévaux n’implique pas l’existence du capitalisme. En termes marxistes, la « production simple de marchandises » fait référence à un mode de fabrication artisanal. Le producteur possède les moyens de production, qui, souvent, se résument à un petit atelier, quelques outils et une quantité insignifiante de matières premières pour fabriquer son produit fini. Cette marchandise est ensuite vendue sur le marché, généralement directement aux consommateurs.

Les cordonniers ou boulangers du Moyen Âge sont de parfaits exemples de petits producteurs de marchandises dans leur forme pure et simple. Mais, dans le cas de la production flamande de tissus destinés à l’exportation, la division du travail et les relations au sein de la sphère de production qui en découlent sont plus compliquées.

Si le capital commercial n’intervient pas directement dans le processus de production, les marchands ont une forte emprise sur les petits producteurs grâce au crédit et à leur capacité à fixer les prix des matières premières et des produits finis, sans parler de leur contrôle du pouvoir politique dans les villes. Cela vaut aussi lorsque les petits producteurs possèdent formellement leurs propres moyens de production. Pour leur part, les travailleurs salariés dépendent à la fois des marchands et des maîtres artisans qui jouent le rôle d’entrepreneurs.

Renforcer l’autonomie des villes

Entre 1050 et 1150, le « mouvement communal » permet, grosso modo, aux zones urbaines d’acquérir un degré élevé d’autonomie politique et juridique. Il ne s’agit pas d’une véritable révolution sociale, avec des affrontements violents qui amènent une nouvelle classe au pouvoir.

Dans la plupart des villes flamandes, les princes et les élites patriciennes originelles, composées de marchands et de propriétaires terriens, ont un intérêt commun à voir se développer l’économie urbaine. Celle-ci se traduit en effet par des profits pour la classe des marchands et des recettes fiscales plus importantes pour le prince. Seules des villes ecclésiastiques comme Tournai, situées juste à côté de la Flandre, sont le théâtre d’affrontements violents lorsque les évêques au pouvoir refusent de partager le pouvoir avec les bourgeois. On observe le même schéma dans un certain nombre d’autres villes ecclésiastiques situées en France et dans le Saint-Empire romain germanique.

Cependant, lors de la crise de succession en Flandre en 1127-1128, décrite par l’éloquent chroniqueur Galbert de Bruges, ce sont les grandes villes telles que Bruges, Gand et Saint-Omer qui jouent le rôle de faiseurs de roi. À cette époque, elles ont déjà acquis une puissance économique et militaire considérable et une influence politique trop forte pour que les nobles parviennent à leur tenir tête.

Gand devient le centre du pouvoir des artisans en Europe médiévale.

Au 13e siècle, la grande majorité des paysans flamands a obtenu la liberté individuelle et le pouvoir seigneurial de la noblesse diminue. La classe dirigeante des communes se compose de marchands, de descendants de fonctionnaires seigneuriaux, de chevaliers locaux et de propriétaires terriens urbains. La société urbaine se polarise, surtout entre 1150 et 1300. Les classes marchandes urbaines profitent de l’immigration d’une main-d’œuvre bon marché venue des campagnes pour maintenir les salaires à la baisse et accumuler du capital.

Les denrées alimentaires doivent être importées en quantités de plus en plus grandes pour nourrir la main-d’œuvre urbaine. Les prix augmentent mais les salaires ne suivent pas. Entre 1225 et 1250, les premières grèves de travailleurs sont documentées dans des villes comme Douai et Gand. C’est plus tôt que partout ailleurs dans l’Europe médiévale. Au début, les artisans ne sont pas organisés, ou seulement en confréries religieuses. Les élites marchandes, qui monopolisent jalousement le pouvoir politique, interdisent les corporations artisanales indépendantes et même les rassemblements de travailleurs.

Dans les grandes villes comme celles de Flandre médiévale surtout, la combinaison de la production de petites marchandises et du capitalisme commercial change fondamentalement les perspectives de la formation sociale féodale dans l’ensemble de la région. La structure des classes devient plus complexe que la seule opposition entre seigneurs et paysans. Dès le 12e siècle, de nombreux marchands capitalistes et propriétaires terriens urbains s’enrichissent plus que les nobles. Un certain nombre de producteurs de matières premières accèdent au statut de classe moyenne et cherchent également à exercer un pouvoir politique.

Apogée

En passant par la guilde artisanale comme forme d’organisation, les artisans exigent l’autonomie institutionnelle, le contrôle du processus de production et la participation au gouvernement de la ville. Le flux constant de migrants venus des campagnes fournit aux villes une armée de prolétaires, qui peuplent les banlieues en plein essor dès le 12e siècle.

Les marchands, les petits entrepreneurs et les travailleurs salariés développent des relations de classe triangulaires et forment diverses alliances politiques temporaires. Les guildes qui travaillent pour le marché local sont moins prolétarisées que celles qui travaillent dans l’industrie du tissu. Les travailleuses en particulier, souvent célibataires, sont les plus exploitées de tous les groupes sociaux urbains.

Pourtant, c’est un front uni de petits entrepreneurs, de détaillants et de travailleurs salariés qui affronte les régimes patriciens lors de vagues de révolte successives vers 1280 et 1302. Dans les villes les plus industrielles comme Bruges, Gand, Malines et Liège, des gouvernements plus populaires, c’est-à-dire comprenant des représentants des artisans (même s’ils appartiennent aux couches les plus riches de leurs guildes), prennent le pouvoir.

Les deux siècles et demi qui suivent sont marqués par une lutte constante entre ces « fronts populaires » ou « mouvements bourgeois », d’une part, et la classe des capitalistes commerciaux, d’autre part. Ces derniers sont souvent soutenus par de riches petits producteurs de marchandises (dans l’industrie du luxe, par exemple) ainsi que par le pouvoir princier, noble et ecclésiastique.

Le quatorzième siècle voit s’établir le pouvoir des guildes en Flandre et à Liège. Gand devient le centre du pouvoir des artisans en Europe médiévale. Dans les villes brabançonnes, où l’alliance entre les nobles et la classe patricienne est plus forte, la lutte est plus difficile, se développe après 1360, et n’aboutira, dans certains cas, qu’au début du 15e siècle.

Si ce sont les classes urbaines qui mènent les luttes sociales et politiques dans les Pays-Bas médiévaux, les paysans libres des régions côtières jouent également un rôle actif à certains moments. Le soulèvement de la Flandre maritime entre 1323 et 1328, ainsi qu’en 1379-1385 et 1436-1438, deux périodes au cours desquelles une grande partie des campagnes se sont ouvertement révoltées contre le pouvoir princier, en est un exemple notable.

Au cours de la seconde moitié du 14e siècle, les industries textiles de Flandre et du Brabant entrent dans une période de crise.

Les paysans libres développent également une culture des réunions de village et s’opposent contre les charges fiscales excessives, se rangeant souvent du côté des artisans urbains rebelles. À d’autres périodes, cependant, ces deux groupes sociaux ont des intérêts opposés. Les villes exploitent fiscalement leur arrière-pays et la main-d’œuvre urbaine considère les industries rurales, où les salaires sont plus bas, comme une concurrence déloyale qu’elle veut supprimer.

Le règne du chef populaire Jacob van Artevelde (1338-45), capitaine général de Gand, marque l’apogée de la rébellion flamande. Bien qu’Artevelde ne soit pas lui-même un artisan et qu’il appartienne à la classe supérieure urbaine de Gand, il réussit à gagner le soutien des ouvriers du textile et de la plupart des autres artisans.

Au début de la guerre de Cent Ans, il se range du côté de l’Angleterre contre la France, bien que la Flandre soit un fief de la monarchie française. En effet, l’importation de laine anglaise est vitale pour la production flamande de drap de laine. Les partisans d’Artevelde s’emparent aussi du pouvoir à Bruges, qu’ils garderont pendant plusieurs années.

Les guildes en recul

Au cours de la seconde moitié du 14e siècle, les industries textiles de Flandre et du Brabant entrent dans une période de crise. La concurrence de l’Angleterre et de la Toscane, ainsi que de petites villes et de producteurs ruraux, se marque de plus en plus. Une ville comme Bruges réoriente avant tout son activité économique vers la production de biens de consommation durables et de luxe, ce qui en fait l’endroit idéal pour des peintres comme Jan van Eyck ou Hans Memling.

La dynastie bourguignonne prend le pouvoir dans la plupart des principautés néerlandaises entre la fin du 14e et le milieu du 15e siècle. Cette évolution s’inscrit dans une tendance plus profonde en Europe médiévale, où l’État féodal s’est renforcé par rapport à ses sujets grâce aux interactions entre guerre et impôts. Cette puissance renforcée s’applique autant aux seigneurs qu’aux villes.

Au cours du 15ème siècle, le pouvoir des guildes politiques en Flandre perd du terrain. Les travailleurs du textile se retrouvent de plus en plus isolés des producteurs de matières premières des autres secteurs qui travaillent pour les marchés intérieurs. Dans le même temps, les couches supérieures des élites urbaines fusionnent avec une cohorte croissante de fonctionnaires de l’État et de nobles qui profitent de ce que nous pourrions appeler le « féodalisme d’État ». Il s’agit d’une forme plus centralisée d’extraction de surplus via l’accaparement de l’impôt plutôt que du loyer. La charge fiscale imposée par l’État féodal à ses sujets s’alourdit à la fin du Moyen Âge.

Une autre vague de soulèvements généralisés a lieu entre 1477 et 1492, après la mort du duc Charles le Téméraire sur un champ de bataille contre les Suisses, qui s’est montré trop ambitieux dans ses projets d’expansion bourguignonne. Les citadins flamands et brabançons profitent de la faiblesse de la jeune Marie de Bourgogne, qui lui succède, pour se révolter. Ils demandent le rétablissement de leurs anciens privilèges.

Marie épouse ensuite Maximilien d’Autriche. Après sa mort prématurée en 1482, cette alliance matrimoniale permet à la dynastie des Habsbourg de prendre le pouvoir en Flandre, mais seulement au bout de dix ans de guerre civile. L’opposition à la domination des Habsbourg rassemble non seulement des classes populaires des villes, mais aussi une grande partie des élites, y compris de nombreux nobles.

En 1515, sous le règne de Charles Quint, petit-fils de Maximilien, les Pays-Bas sont intégrés à l’empire global hispano-habsbourgeois. Cette autorité centralisée, beaucoup plus forte que la précédente, écrase les guildes lors de plusieurs confrontations entre 1525 et 1540.

Les artisans des principautés des Pays-Bas méridionaux ont atteint un niveau de pouvoir politique dans leurs villes, en particulier les plus grandes, qu’aucune autre région de l’Europe médiévale, à l’exception peut-être de la Rhénanie et de certaines cités-états italiennes, n’atteindra avant 1400. Au milieu du 16e siècle, ce pouvoir s’est considérablement affaibli. Pourtant, les Pays-Bas vont bientôt connaître une nouvelle vague de révolte dans le sillage de la Réforme, portant un coup sévère à la superpuissance de l’Europe à l’aube de l’ère moderne, la monarchie des Habsbourg.

Article originellement paru dans Jacobin.