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Faire régime ? N’écoutez pas les faux prophètes !

Staf Henderickx

—24 septembre 2017

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Peu de sujets suscitent autant d’avis divergents que ce qui orne quotidiennement nos assiettes. Dans la recherche d’une alimentation saine, il importe de faire la distinction entre la science et le charlatanisme.

Faire régime ? N’écoutez pas les faux prophètes !

Toutes les cultures connaissent leurs prophètes. Ils prétendent détenir le monopole de la sagesse et du savoir et traduisent souvent de façon littéraire les préceptes et valeurs de leurs cultures. Depuis la nuit des temps, aux convictions philosophiques et surtout religieuses sont associées des prescriptions alimentaires. Quels sont les aliments propres à la consommation, les aliments halal, les aliments casher ? Du livre de la Genèse et de l’Ancien Testament, le prophète Mahomet a conclu que « sont propres à la consommation tous les animaux qui mangent de l’herbe, ruminent et ont les sabots fourchus ». Donc pas le cheval, l’âne ni le chameau, dont les sabots sont d’une seule pièce, ni le cochon, qui n’est pas un ruminant. Dans le même livre, Dieu offrait également comme nourriture en cadeau à l’humanité « les oiseaux dans le ciel » et « les poissons dans l’eau ». Le sang étant impur, l’abatteur devait en vider l’animal. Le vin et la bière étaient les boissons infâmes des chrétiens qui, lors de leurs cérémonies, prétendaient que le vin était le sang du prophète Jésus. Il est par ailleurs interdit aux chrétiens de manger de la viande durant le carême et les hindous ne peuvent consommer la chair d’aucun animal. Dans chaque religion, des tabous alimentaires sont imposés aux croyants et ils donnent en même temps la possibilité de discriminer ou de sanctionner tous ceux qui ne s’y conforment pas.

L’un des plus grands bienfaits de l’humanité a été, dès le 16e siècle, la percée de la pensée scientifique qui, dans tous les domaines de la vie, a établi une démarcation entre la réalité et l’imaginaire. Sur le plan alimentaire, une meilleure compréhension de la composition de notre nourriture et de sa relation avec l’origine des maladies et leur traitement est apparue progressivement dès la fin du 18e siècle. Ce savoir n’est pas né de lui-même, il est le résultat d’un long processus de recherche jalonné de tâtonnements successifs. La lutte contre le scorbut est un bon exemple. Jusqu’au début du 19e siècle, cette terrible maladie provoquant des hémorragies internes faisait des ravages parmi les marins. Elle ne touchait que rarement les officiers. Pour eux, on embarquait une vache vivante, de la volaille, des légumes et des fruits, de sorte qu’on leur servait du lait, des œufs, de la viande fraîche et des légumes. En 1747, le médecin de bord anglais James Lind a prouvé, par la toute première étude clinique randomisée de l’Histoire, qu’un groupe de matelots à qui l’on faisait boire du jus de citron — un très vieux remède populaire — guérissait rapidement, au contraire du groupe qui n’en buvait pas. Pourtant, des professeurs connus, comme Boerhave ( 1724), de l’université de Leyde, continuèrent opiniâtrement à considérer le scorbut comme une maladie de la circulation sanguine ; une aide médicale adéquate s’est donc longtemps fait attendre. Ce n’est pas avant 1937 que les chercheurs Szent-Györgyi et Haworth se virent décerner le prix Nobel de chimie pour avoir découvert que le manque de vitamine C dans le menu des marins était à la base de cette maladie.

Là où jadis la maladie et la mort étaient perçues comme la volonté de dieu, la révolution scientifique a apporté l’espoir d’une existence plus longue et plus saine

Aujourd’hui, il est facile de trouver une bonne information sur l’alimentation. Des universités enseignent la nutrition aux diététiciens et forment des médecins sur les maladies liées à l’alimentation. Programmes scientifiques, livres et sites web sont à la disposition de tout le monde. Depuis quelques décennies toutefois, nous sommes ensevelis sous un bombardement intensif d’informations dans tous les domaines. Cela crée de nouveau une grande confusion entre une information étayée scientifiquement et une pseudo-
science à vocation commerciale.

Les marchands de faux espoirs

Là où jadis la maladie et la mort étaient perçues comme la volonté, voire le châtiment divin, la révolution scientifique a apporté l’espoir d’une véritable guérison et d’une existence plus longue et plus saine. Il est devenu plus difficile à l’homme moderne d’accepter qu’il n’existe pas de traitement efficace de certaines maladies. Un malade désespéré est prêt à se cramponner à n’importe quoi. Cette situation a créé un marché pour toutes sortes de gourous de la diététique et de la santé promettant invariablement guérison ou amélioration. Nombre de maladies connaissent des cas de rétablissement spontané ; si un patient, tandis qu’il suit un traitement alternatif, s’en trouve « guéri », vous pouvez lui rebattre les oreilles avec une centaine d’études montrant que son traitement ne repose sur aucune base scientifique, il croira malgré tout sa propre expérience plutôt que votre montagne de preuves écrites. Il claironnera son régime miracle dans des courriers que les prophètes de la guérison reprendront très volontiers sur leur site web. Les nombreux patients à n’avoir pas été aidés ne l’écrivent pas, ou bien les gourous de la diététique ne publient pas leurs réactions sur leur site.

Il n’est pas rare que ces régimes miraculeux rapportent gros aux gourous qui les vendent. Natasha Campbell est la promotrice mondiale du régime GAPS surtout censé guérir l’intestin par une restriction sévère de tous les hydrates de carbone et qui, de la sorte, pourrait guérir des maladies comme l’autisme, les maladies auto-immunitaires, voire le cancer. Ce traitement ne repose sur aucune preuve scientifique et comporte en outre bien des dangers, comme la sous-alimentation, avec des retombées négatives, surtout chez les petits enfants. Qui plus est, madame Campbell est partisane de l’homéopathie et conseille aux mères de refuser la vaccination de leurs bébés. Malgré ses théories extrêmement dangereuses, elle a pu engager à son service une petite armée de vendeurs chevronnés qui écoulent chez les particuliers ses compléments alimentaires avec un plantureux bénéfice à la clé. Dans la même ligne, on trouve aussi la théorie simpliste de Xandria Williams, affirmant que le sucre provoque le cancer et qu’il faut donc éviter tous les hydrates de carbone et le sucre pour en guérir.

Outre Campbell et Williams, il existe encore bien d’autres charlatans qui promettent une guérison miraculeuse grâce à leurs régimes hors de prix aux patients cancéreux désespérés ne répondant plus aux traitements. Dans les centres Gerson aux États-Unis, en Hongrie et au Mexique, par exemple, on peut suivre des traitements très chers avec un régime consistant en d’énormes quantités de jus de fruits pressés, de compléments vitaminés, de lavements et d’injections aux extraits de foie. Pour quelques milliers de dollars, vous pouvez également suivre le régime macrobiotique zen de Michio Kushi, un régime végétalien strict, avec la promesse qu’il peut guérir toute forme de cancer. Un hôpital mexicain traite les patients cancéreux avec des enzymes pour détoxifier le corps selon la méthode du dentiste Kelley. Sur le site web de la Vereniging tegen de Kwakzalverij ( association contre le charlatanisme ) figure une liste des trente régimes les plus connus prétendant guérir le cancer. Aucun d’eux ne peut présenter d’étude prouvant son efficacité.

Ces régimes miraculeux partent souvent de l’idée fausse selon laquelle toute maladie est imputable à des erreurs ou manquements dans son mode de vie personnel. Les Grecs, et plus tard les Romains, développaient déjà des hypothèses semblables, par exemple concernant les fluides corporels froids et chauds qui devaient être traités par une alimentation chaude ou froide. En Chine, tous les aliments sont classés yin ( froid, humide ) ou yang ( sec, chaud). Aussi louables qu’aient été les tentatives d’Hippocrate et de la philosophie chinoise de comprendre les phénomènes comme la maladie, ces classifications des aliments ne reposent pas sur une base scientifique, mais sur la pensée magique selon laquelle vous accueillez en vous une propriété d’un certain aliment en l’ingérant et que, de la sorte, vous pouvez rétablir un équilibre interne perturbé.

De telles conceptions étaient compréhensibles eu égard à l’état du savoir humain en ces siècles lointains ; aujourd’hui, d’un point de vue scientifique, elles sont indéfendables. Chaque forme de société apporte en effet avec elle ses maladies typiques : dans un climat tropical, les chasseurs-cueilleurs seront surtout confrontés au problème des maladies infectieuses. L’apparition de l’élevage fut la source de nombreuses épidémies nouvelles alors que, dans notre société actuelle du just-in-time, nous connaissons surtout des maladies liées au stress, telle la prolifération du burnout. C’est pourquoi les causes des maladies doivent être étudiées et traitées dans un cadre scientifique. Les prescriptions diététiques quasi rituelles de certains gourous se concentrent par contre de façon maniaque sur l’individu, avec le danger d’une encapsulation narcissique dans une certitude fictive. En cas de maladies comme le cancer, cela entraîne souvent des conséquences dramatiques. Tout cela ne veut évidemment pas dire qu’une alimentation saine ne joue aucun rôle dans la prévention du cancer. Il reste bien sûr important que les patients cancéreux aient une alimentation saine durant leur traitement.

Une longue tradition de charlatanisme

Les prophètes modernes des régimes partent souvent d’une expérience personnelle anecdotique ou d’une découverte scientifique correcte que l’on a extraite de son contexte ; ces erreurs de pensée ont été très courantes chez les premiers praticiens de la médecine pseudo-scientifique. Ainsi, le médecin londonien George Cheyne ( 1671-1743 ) souffrait d’un énorme excès pondéral et de problèmes inhérents à la consommation de grandes quantités de viande. Il abandonna la viande, maigrit et guérit. À partir de cette expérience, il rédigea un ouvrage, The English Malady, dans lequel il préconisait un régime végétarien. Jusque-là, pas de problème, naturellement, mais il pensait que ce régime était aussi un remède aux maladies mentales, aux migraines, aux troubles de la mémoire et autres affections.

De même, le fanatisme religieux est resté une riche source d’inspiration pour les règles morales. Durant la période victorienne, les campagnes contre la masturbation constituèrent le fer-de-lance de la croisade contre la déchéance morale de l’humanité. L’un des chevaliers les plus valeureux de cette lutte fut le médecin américain John Kellogg ( 1852-1943 ) qui prétendait n’avoir jamais eu de relations sexuelles en quarante ans de mariage. Malgré ce comportement ascétique, le médecin se voulait un expert en éducation sexuelle et il consigna ses recommandations dans un best-seller, Plain Facts for Old and Young. Du lard et des œufs au petit-déjeuner lui paraissaient diaboliques et il conseillait plutôt des céréales afin de lutter contre la masturbation. Pour les jeunes réticents, il présentait la circoncision comme traitement efficace. « L’opération devrait être effectuée sans anesthésie. L’intensité de la douleur s’imprimera dans leur mémoire, surtout si elle est présentée comme une punition. » Pour empêcher la masturbation chez les jeunes filles, le docteur Kellogg conseillait de leur enduire le clitoris de phénol. Son frère Will Kellogg sut tirer profit du plaidoyer en faveur des céréales au petit-déjeuner et fonda avec succès la Kellogg Company. À l’époque victorienne, préconiser de priver les enfants de viande avait une connotation très amère quand on sait que, dans les quartiers urbains défavorisés, ce sont précisément les protéines indispensables de la viande et du poisson qui faisaient défaut dans l’alimentation.

L’un des premiers gourous de la santé à avoir survécu aux siècles n’est autre que Samuel Hahnemann ( 1755-1843), le pionnier de l’homéopathie. Il développa l’hypothèse selon laquelle des quantités minimes de certaines plantes et substances sont salutaires pour le corps humain. Selon ce médecin allemand, le corps dispose de suffisamment de défenses propres contre les maladies ; il suffit de les activer en administrant des quantités minimes des substances mêmes qui déclenchent les maladies. Il ressort de toutes les études scientifiques indépendantes que l’action des solutions homéopathiques n’est pas supérieure à celle de l’eau. Pas plus dans les rapports de l’Organisation Mondiale de la Santé que dans ceux de l’Union européenne, l’homéopathie n’est reconnue comme une forme efficace de médecine. Pourtant, bien des personnes, et même des intellectuels, continuent à ne jurer que par l’homéopathie.

De toutes les études scientifiques indépendantes, il ressort que l’action des solutions homéopathiques n’est pas supérieure à celle de l’eau

Une autre idée ancienne qui a été reprise, c’est que notre corps a régulièrement besoin d’être détoxifié. La pollution croissante de l’environnement et les scandales des herbicides, des hormones et autres substances toxiques dans l’alimentation ont suscité des préoccupations justifiées parmi la population. Ce qu’on appelle les régimes détoxifiants ( ou régimes détox ) jouent sur ces angoisses. Le seul véritable traitement contre les substances toxiques, ce sont les mesures préventives. Les actions sociales en faveur de la sécurité alimentaire et les mesures de protection de l’environnement constituent la meilleure réponse. Moi-même, en tant que médecin à Lommel, j’ai été actif pendant quelques décennies dans la lutte contre la pollution de l’environnement du nord de la Campine par les métaux lourds comme le cadmium, le plomb et l’arsenic. J’ai souvent reçu des coups de fil et des publicités de représentants pharmaceutiques qui vantaient toutes sortes de traitements pour détoxifier le corps. Aucun de ces traitements n’avait de base scientifique, pas même la thérapie par la chélation, selon laquelle des infusions permettraient de retirer les métaux lourds du sang. Le médecin britannique Mehmet Oz a organisé quarante expériences avec cinq cents bénévoles du monde entier. Durant ces expériences, un groupe suivait un régime détoxifiant local et l’autre un régime ordinaire. Il s’est avéré que les régimes détox n’avaient aucun effet physiologique. La majeure partie de ces jus de fruits et autres boissons sont plutôt inoffensifs, mais ils ne détoxifient ni ne ralentissent en aucune façon le processus de vieillissement.

Big Pharma, lui aussi, rafle sa part du gâteau

Du fait des scandales, de la soif de profit et du lobbying de Big Pharma, toute la médecine moderne a perdu beaucoup de son crédit. En outre, une partie des firmes pharmaceutiques se sont elles aussi sous l’influence des pseudo-sciences et proposent toutes sortes de compléments alimentaires pour le traitement de déficiences qui n’existent absolument pas et pour la prévention de maladies qui ne se présentent que tout à fait exceptionnellement. Ces deux phénomènes ouvrent un boulevard aux pseudo-scientifiques et autres prophètes des régimes alimentaires.

Dans la ruée vers l’alimentation saine, l’industrie pharmaceutique tente elle-même de conquérir une part de ce marché lucratif. Elle aussi recommande ses compléments alimentaires, ses préparations vitaminées, ses minéraux et ses produits bio. En outre, la quasi-totalité de ces produits est disponible sans prescription du médecin et on peut en faire librement la publicité. La vente en ligne de comprimés, poudres et tablettes remplaçant les repas est un marché en pleine croissance. Grâce à Internet, les messages publicitaires pénètrent jusque dans les foyers. Des firmes comme Herbalife travaillent avec un système pyramidal de vendeurs pour attirer des clients potentiels.

L’une des opérations de marketing les plus éhontées reste les campagnes publicitaires agressives de Nestlé et autres fabricants de lait en poudre contre l’allaitement maternel dans les pays en voie de développement. D’après l’ONG Save the Children, ces firmes ne respectent toujours pas le code de conduite convenu. L’organisation estime que, de ce fait, 1,4 million d’enfants meurent de diarrhée chaque année.

Chez nous, ce sont les patients souffrant de symptomes vagues comme la fatigue, l’insomnie ou les douleurs musculaires qui sont le plus sensibles aux promesses d’amélioration rapide. Cependant, ceux qui limitent leur alimentation, surtout sur le plan des graisses et des sucres, et qui se livrent à une activité physique suffisante, conservent un poids normal. De même, les personnes qui mangent de façon suffisamment diversifiée n’ont pas besoin de compléments alimentaires, à l’exception de l’acide folique pour les femmes enceintes et — surtout dans les mois d’hiver — de la vitamine D pour les bébés et les personnes âgées. Je me souviens toujours de la phrase de mon professeur de pédiatrie : « Je vois bien plus d’enfants avec des maladies provoquées par l’excès de vitamines que par le manque de vitamines. »

Quelques tendances diététiques populaires sous la loupe

Bien sûr, il n’est nul besoin d’être très malade pour s’intéresser à une alimentation saine. Pour les personnes qui désirent tout simplement manger sainement, il est souvent ardu d’y voir clair. Il n’est jamais inutile d’examiner d’un peu plus près les prétentions de nombre de tendances diététiques populaires.

Les superaliments

Régulièrement, dans toutes sortes d’ouvrages et d’interviews culinaires, on fait l’éloge d’un « superaliment ». Un exemple ? L’huile de coco. Elle aurait des effets antibactériens, antioxydants et anti-inflammatoires, réduirait le cholestérol et préviendrait le cancer. Ce ne sont que quelques-unes des propriétés de cette huile miracle, telles qu’on peut les entendre dans des interviews d’actrices connues comme Miranda Kerr, Jennifer Aniston et Angelina Jolie. Dans leurs publicités, les producteurs ne peuvent attribuer de propriétés salutaires à cette huile si elles ne sont pas prouvées scientifiquement. C’est pourquoi nombre d’entre eux sponsorisent la publication de livres comme The Coconut Oil Miracle de Bruce Fife et paient des icônes du sport et du cinéma pour vanter leur produit dans des interviews ; c’est la liberté d’expression commerciale.

Sur le plan chimique, l’huile de coco est pourtant similaire à l’huile de palme et se compose principalement d’acides gras saturés qui — en grandes quantités — augmentent le cholestérol. Certains partisans objecteront que l’huile de coco contient de l’acide laurique, dont il est prouvé qu’il a des propriétés antibactériennes. C’est vrai, de la même manière que le sel et même une concentration élevée en sucre ont un effet antibactérien, mais cela ne signifie pas que sa consommation agira comme un antibiotique contre les germes des maladies. Bref, gardez-vous des nouveaux super-produits alimentaires. L’huile de coco n’est tout simplement pas un superaliment et elle n’est certainement pas non plus l’huile la plus saine.

Le régime sans gluten et le régime alcalin

La maladie cœliaque est une diarrhée chronique grave provoquée par la présence de gluten dans la nourriture. Pour les patients qui en souffrent, une alimentation sans gluten est d’une importance vitale. Que voyons-nous aujourd’hui ? Des prophètes finauds et des firmes qui présentent les aliments sans gluten comme une sorte d’alimentation alternative permettant à tous un style de vie plus sain. Comme si cette protéine était nocive pour tout le monde.

De même, tout ce qui est acide a une connotation très négative : les pluies acides, l’acidification des océans, des propos acides… Cette fois, des pseudo-scientifiques auraient découvert que le grand danger pour notre corps résidait dans son « acidification », laquelle serait à la base de la plupart des maladies. Selon eux, le régime alcalin est la solution. Notre sang a pourtant un pH constant de 7,4 et est donc légèrement alcalin. Au moindre changement du taux d’acidité du sang, le corps corrige cet écart par la respiration et par l’activité rénale. L’alimentation n’exerce aucune influence. Le régime alcalin consiste principalement en légumes et en fruits. Produits laitiers, viande, poisson, sucre, café, riz, pommes de terre, graisses… seraient à proscrire absolument. Naturellement, tous ceux qui se soumettront à ce régime maigriront fortement et cela en soi, surtout en cas d’obésité prononcée, a bien des effets positifs sur la santé.

Le régime paléolithique

Les humains sont omnivores ( ils mangent de tout), mais nous pouvons néanmoins survivre tant avec une alimentation exclusivement végétale qu’avec une alimentation exclusivement animale. Depuis quelques années, le régime paléolithique ( plus communément régime paléo ) suscite un grand intérêt ; l’alimentation des anciens chasseurs-cueilleurs aurait surtout consisté en poisson, viande, légumes, fruits, racines et noix. Le régime paléo ne comprend donc ni céréales, ni légumineuses, ni lait, ni produits laitiers, ni sucre, ni huiles. Comme argument, ses partisans avancent le fait que, pendant deux millions et demi d’années, notre corps s’est conformé à ce régime remontant à nos lointains ancêtres.

De nombreux arguments s’opposent toutefois à cette forme d’alimentation des tout premiers hommes. Avant tout, le régime de nos ancêtres a assez souvent changé au cours de ces deux millions et demi d’années : l’australopithèque consommait principalement des fruits et des plantes, le paranthrope des graines dures et des cosses fibreuses, l’Homo habilis mangeait déjà du poisson et des crustacés et l’Homo erectus a été le premier hominidé à consommer la viande des grands herbivores. Le néandertalien était essentiellement carnivore, au contraire de l’Homo sapiens qui, en tant qu’omnivore, avait opté pour un régime plus varié. Quand ce dernier, avec le développement de l’agriculture, se mit également à consommer des céréales, des légumineuses, du lait, des produits laitiers et des huiles, cela n’eut aucune conséquence néfaste pour sa santé. L’homme a en effet un intestin grêle très flexible, qui s’adapte aux circonstances. Dans le régime paléo, la viande occupe une place trop importante. Outre le fait que ce n’est pas sain, si tout le monde se mettait à suivre le régime paléo, l’élevage au niveau mondial devrait produire d’énormes quantités de viande

Une alimentation végétarienne est-elle saine ?

La défense du végétarisme n’a rien de neuf. Le philosophe grec Pythagore et le prophète népalais Bouddha défendaient déjà un régime végétarien parce qu’ils croyaient en la réincarnation de l’âme. Les premiers apôtres modernes du végétarisme ont établi le lien entre l’alimentation et le caractère. En 1802, dans son livre An Essay on Abstinence from Animal Food as a Moral Duty, l’Anglais Joseph Ritson prétendait que les mangeurs de viande avaient un caractère mauvais et cruel. La viande stimulerait l’instinct du chasseur et serait responsable de l’augmentation des vols et de la violence. Dans les années 1830, en Amérique, le prédicateur passionné Sylvester Graham se fit lui aussi l’avocat du végétarisme. Comme le docteur Kellogg, il voyait un lien entre la consommation de viande et la perversité sexuelle.

Naturellement, de nos jours, ces arguments moraux ne jouent plus guère dans le choix de ceux qui sont végétariens. Les principales raisons de leur choix sont très défendables et correctes. La façon dont l’industrie de la viande traite et abat les animaux, l’empreinte écologique destructrice, la consommation élevée de viande dans les pays riches en tant qu’obstacle à la solution du problème de la faim dans les pays pauvres et, enfin, le souci de sa propre santé sont les principales raisons pour renoncer à consommer de la viande et du poisson. Dans son best-seller Faut-il manger les animaux ?, l’écrivain américain Jonathan Safran Foer affirme que manger de la viande n’est pas mauvais en soi sauf si cette consommation implique la souffrance de l’animal, des problèmes environnementaux et des risques de maladie. Foer conclut donc que manger de la viande en provenance des fermes industrielles ou du poisson des exploitations piscicoles est irresponsable sur le plan éthique.

La plupart des études confirment que les végétariens sont en meilleure santé que les mangeurs de viande, probablement en raison d’un poids inférieur, d’une tension artérielle et d’un taux de cholestérol plus bas. La viande se situe plus haut dans la chaîne alimentaire et, partant, il existe également un risque qu’elle contienne plus de substances nocives que d’autres nourritures. En Belgique, le nombre de végétariens est estimé à 2,5 % de la population. Aux Pays-Bas, à 4,5 %. Bien des ménages passent toutefois à une limitation de la viande, en n’en consommant plus que deux fois par semaine par exemple. Dans notre pays, au cours des dernières années, la consommation moyenne de viande a déjà baissé, passant de 1,92 kg par semaine à 1,65 kg, mais malgré tout, elle reste encore bien trop élevée. Les avis médicaux préconisent 300 grammes de viande par semaine.

Si tout le monde se mettait à suivre le régime « paléo », l’élevage au niveau mondial devrait produire d’énormes quantités de viande

Les végétariens et surtout les enfants doivent cependant s’assurer de consommer des compléments de protéines issus du soja, des haricots, du quinoa, des œufs ou des noix et prendre également des compléments de vitamine D et de vitamine B12. Le végétalisme, dans lequel le lait, les produits laitiers et les œufs sont bannis, est par contre dangereux pour les enfants. Le manque de vitamine D provoque des carences osseuses et celui de vitamine B12 engendre de graves troubles de croissance. Récemment, des parents végétaliens de Beveren ont vu mourir de malnutrition leur petit garçon de sept mois. L’enfant ne recevait que du lait de riz ou de sarrasin, sans gluten ni lactose.

Où trouver des informations vraiment fiables ?

Le monde compte plus de 16 millions de spécialistes en alimentation, mais l’appel des gourous et des évangélistes se fait souvent entendre plus fort depuis leur « chaire de vérité » numérique. Les recommandations et directives sur le plan de la santé, telles qu’elles émanent des ministères, des organisations scientifiques de médecins et de diététiciens, et même de l’Organisation mondiale de la santé, ne sont en outre pas d’un abord aussi facilement compréhensible qu’un article bien rédigé dans un hebdomadaire. Pourtant, ce sont précisément ces services publics qui basent leurs recommandations sur des recherches scientifiques fouillées.

Le professeur Frans Kok, de l’université de Wageningen aux Pays-Bas, est une autorité internationale dans le domaine de la nutrition humaine et a publié un très grand nombre de commentaires scientifiques sur les régimes miracles comme celui du médecin français Pierre Dukan et sur le livre De Voedselzandloper du docteur Kris Verburgh. Kok déclare que l’ouvrage du médecin belge comporte de précieux conseils, mais en même temps, de nombreuses présentations tendancieuses et de fausses certitudes qui rendent le livre dans l’ensemble dangereux pour la santé.

Admettons, l’étude de l’alimentation et de son influence sur la santé n’est pas chose aisée. Les expérimentations humaines avec un groupe bien défini de personnes, dans un environnement contrôlé et sur une longue durée, sont quasiment impossibles. Il est également impossible d’effectuer des études randomisées en double aveugle, car quel régime constituera alors le placebo ?

De même, les méthodes statistiques de recherche sur les habitudes alimentaires et les tentatives de trouver des corrélations peuvent aboutir à des conclusions fausses. Prenons par exemple l’étude de ce fléau qu’est l’obésité. Économistes, psychologues, généticiens, neurologues, microbiologistes, biochimistes, épidémiologistes, sociologues et diététiciens auront tous leur mot à dire. Une étude isolée menée par l’une de ces branches scientifiques peut aboutir à une conclusion correcte, mais son interprétation doit être examinée dans l’ensemble du fonctionnement du corps humain et de la société. Si un rapport est publié dans la presse à propos de cette étude, ceci peut également aboutir à une perception ou à des conclusions totalement erronées. Ainsi, le docteur Aseem Malhotra défend un régime riche en graisses, mais son plaidoyer s’appuie sur une seule étude espagnole, alors que les recommandations d’une alimentation normale, limitant plutôt la consommation de graisses, s’appuient sur des milliers de résultats de recherche.

Pour plus d’informations et de réponses sur le sujet de l’alimentation, on peut s’adresser directement à l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire ( www.favv-afsca.be ) et consulter le site web de la Landbouwuniversiteit de Wageningen ( www.wur.nl). On trouve également de très nombreuses réponses scientifiques sur le site web www.gezondheidenwetenschap.be ( en néerlandais).