Alerta Arizona

« Derrière la chasse aux malades, l’Arizona restructure l’État social »

Brecht Rogissart

—14 juillet 2025

Alerta Arizona n*7 – Retrouvez les opinions enflammées contre le désert social de De Wever et Bouchez de notre série Alerta Arizona.

Brecht Rogissart Historien et doctorant en histoire financière belge, affilié à l’Institut universitaire européen et à FairFin.

On ne les associerait pas spontanément, et pourtant les mutualités doivent elles aussi contribuer à la politique de l’emploi de l’Arizona. Selon la déclaration gouvernementale, elles doivent en effet être impliquées comme « partenaires » dans la réintégration des malades de longue durée sur le marché du travail.

Cela constitue, à bien des égards, une poursuite de la politique de l’emploi dominante depuis les années 1990, centrée sur l’accroissement du taux d’emploi. Elle inclut aussi l’activation des chômeurs, le relèvement de l’âge de la retraite et la suppression des pensions anticipées.

Par rapport à ses voisins européens, l’État belge a relativement “bien” mené sa politique d’activation. Le taux d’emploi a structurellement augmenté. Les projecteurs sont désormais braqués sur un nouveau groupe : les malades de longue durée. Il y a toujours une marge de progression.

Pour Frank Vandenbroucke (Vooruit, Ministre fédéral de la santé et des affaires sociales), qui a introduit et continue de déployer ces politiques, cela s’inscrit dans son idée de l’État social actif. Cela signifie, pour lui, qu’une discipline est nécessaire pour préserver la sécurité sociale collective. « Rénover la maison pour la conserver ».

L’activation est une pièce importante du puzzle : plus il y a de personnes au travail, moins il faut dépenser en revenus de remplacement, et plus les recettes de la sécurité sociale augmentent. Cela permet de maintenir la soutenabilité du système.

La politique d’activation est aujourd’hui complétée par l’aversion de la N-VA envers la société pilarisée. Les mutualités – mastodontes de l’État social pilarisé – seront ainsi « responsabilisées » par Arizona pour la réintégration des malades de longue durée.

La politique d’activation de Vandenbroucke est aujourd’hui complétée par l’aversion de la N-VA envers la société pilarisée

Pour ce faire, tant la formule des paramètres (qui détermine le budget global) que les formules de répartition des budgets entre mutualités seront revues. En d’autres termes : les mutualités seront mises en concurrence. Celle qui pourra renvoyer le plus de malades de longue durée sur le marché du travail recevra le plus d’argent. Des dynamiques de compétition fortes sont ainsi initiées entre les différentes mutualités, les malades de longue durée servant de balle de jeu.

Ce type de pratiques politiques transforme le tissu de l’État social. C’est ce que Naomi Woltring appelle l’État social conforme au marché dans son étude sur le néolibéralisme aux Pays-Bas.

Un aspect essentiel de l’État social conforme au marché est le « roll-in », l’intégration, du marché dans l’appareil étatique. Les institutions dépendant de l’État, comme les mutualités, ne sont plus que des acteurs du marché. Leurs services sociaux doivent être perçus comme des transactions marchandes et institutionnalisés en tant que tels. Avec les bons incitants financiers, l’État peut les orienter dans la direction souhaitée.

C’est donc la responsabilité de l’État de faire en sorte que les institutions publiques se comportent comme des acteurs du marché. Comme le disait Ad Geelhoed, haut fonctionnaire néerlandais : « Il faut imposer la concurrence. Un État mou n’y parviendra pas ».

La compétition institutionnalisée entre mutualités est donc une étape supplémentaire dans le « roll-in » du marché dans l’État. En Belgique, bien que l’on ait parlé d’économies dans la sécurité sociale, la révision de la plomberie institutionnelle est restée relativement limitée.

Absents de ces discussions : les malades de longue durée, considérés comme une masse amorphe de profiteurs parasitaires

Il en allait autrement aux Pays-Bas, et les conséquences sont claires : jusqu’en 1992, les dépenses de sécurité sociale étaient similaires (24,3 % du PIB pour la Belgique, 24,1 % pour les Pays-Bas). En 2022, elles avaient légèrement augmenté en Belgique jusqu’à 29 %, alors qu’elles étaient tombées à 17,6 % aux Pays-Bas.

Arizona ne mise donc pas seulement sur le vieux plaidoyer de Vandenbroucke pour un État social actif. Le gouvernement entend maintenant l’imposer davantage par le biais d’un État social conforme au marché.

Qu’elle parvienne efficacement à opposer les mutualités entre elles et à réduire ainsi les coûts des dépenses sociales semble plausible. Mais les grands absents de ces discussions sont les malades de longue durée eux-mêmes. La politique menée est principalement axée sur la minimisation des coûts. Le groupe des malades de longue durée reste ainsi considéré comme une masse amorphe de profiteurs parasitaires. Leur origine, leurs besoins et les solutions les plus appropriées pour eux n’ont aucune importance.