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Science. La culture de la peur

Ingar Solty

—23 juillet 2025

Le gouvernement étasunien fait régner un climat de terreur pour les universités, la gauche et les migrants. Le combat de Donald Trump contre la liberté de la science

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Après que le président Paul von Hindenburg ait confié les rênes du pouvoir aux nazis le 30 janvier 1933, Hitler recourut à la loi des pleins pouvoirs dans le but, notamment, de faire appliquer la « loi sur la restauration de la fonction publique » du 7 avril. La catégorie juridique des « fonctionnaires dont les activités politiques passées n’offrent pas la garantie qu’ils agiront toujours et sans réserve dans l’intérêt de l’État national » permit aux fascistes d’évincer systématiquement de la fonction publique leurs adversaires politiques – communistes, sociaux-démocrates et antifascistes libéraux. Le paragraphe 3 de la loi (le « paragraphe aryen ») donna quant à lui lieu au licenciement systématique des juifs. Au total, 20 % des enseignants permanents et plus d’un tiers des professeurs privés perdirent leur emploi au sein des universités. Après que les nazis aient ainsi évincé leurs opposants des fonctions publiques et les aient privés de leurs moyens de subsistance, la « loi sur la révocation de la naturalisation et la révocation de la citoyenneté allemande » du 14 juillet permit d’expulser systématiquement vers l’étranger les opposants au nazisme.

Quand le président de l’AfD de Thuringe, Björn Höcke, déclare aujourd’hui que, dans le cadre de la « reconquête » du pays contre les « peuples étrangers », il veut « repousser l’islam jusqu’au Bosphore » avec une « cruauté bien tempérée » et parle d’une « saignée » parmi les « parties du peuple trop faibles ou qui ne veulent pas s’opposer à l’africanisation, à l’orientalisation et à l’islamisation progressives », c’est à cette ancienne pratique que se réfère le professeur d’histoire. L’ampleur du projet se reflète dans son affirmation selon laquelle il serait possible de « vivre avec 20 à 30 % d’habitants en moins en Allemagne ». Cela représente quelque 16,7 à 25,1 millions de personnes. Lorsque « le moment est venu », a déclaré Höcke, « nous, les Allemands, ne faisons pas les choses à moitié ». Une vie proche de la « décomposition » ne saurait être « réorganisée que de la manière la plus violente ».

Ingar Solty est chargé de recherche en politique étrangère, paix et sécurité à l’Institut für Gesellschaftsanalyse de la Fondation Rosa Luxemburg à Berlin. Ses écrits peuvent être téléchargés gratuitement du site https://rosalux.academia.edu/IngarSolty.

L’objectif déclaré de la droite et des fascistes est d’éliminer de l’espace public médiatique et de la science les « éléments de gauche et verts ». Les délires de purge ouverte des stations de radio et des chaînes de télévision publiques et des universités, présentés selon un mythe reposant sur la victimisation, font déjà effet et conduisent à une obéissance anticipative. L’ancienne vice-présidente de l’Académie des arts, Kathrin Röggla, a récemment expliqué dans une interview au Frankfurter Allgemeine Zeitung comment la montée de la droite avait, depuis longtemps déjà, un impact sur la programmation de l’audiovisuel public : il y règne désormais « une culture de la peur d’être supprimé, de devoir se justifier en permanence ».

Le combat de Trump

Les États-Unis illustrent à merveille ce dont les forces autoritaires de droite sont capables une fois au pouvoir, à travers la guerre que l’administration Trump mène depuis son entrée en fonction contre le prétendu ennemi intérieur dans la bureaucratie de l’État, les médias publics et le système éducatif, mais aussi contre les migrants.

Les déportations d’immigrés non blancs, sciemment mises en scène par le gouvernement afin de satisfaire le mouvement d’extrême droite MAGA (« Make America Great Again »), ont de quoi inquiéter. Elles sont non seulement l’expression d’un mépris raciste pour l’être humain, mais s’effectuent également en rupture totale avec la notion d’état de droit et les principes des droits de l’homme : les migrants, qu’ils aient ou non un permis de séjour, certains ayant même la citoyenneté, se font arrêter de manière systématique par des forces d’intervention masquées et sur la base de critères racistes, avant d’être déportés et envoyés dans des prisons de l’agence de contrôle des frontières ICE gérées par des groupes privés – sans inculpation, sans jugement et pour une durée illimitée. Trump a de plus contraint les gouvernements étrangers, de la Colombie au Salvador, à accueillir les personnes arrêtées arbitrairement sous prétexte de lutte contre la criminalité des gangs et à les concentrer dans des prisons construites à cet effet et ressemblant – il faut bien le dire – à de véritables camps. Quant aux personnes expulsées « par erreur » et ayant un statut de résident légal ou de citoyen américain, des sources gouvernementales affirment qu’elles ne pourront pas non plus revenir.

Et pendant ce temps, le processus d’élimination systématique et d’intimidation des opposants politiques se poursuit. Trump avait déjà annoncé des purges durant la campagne électorale, dans le cadre du « Schedule F ». Les forces de gauche et libérales au sein de l’administration allaient être remplacées par une droite loyale à Trump. Les plans de la prise de pouvoir expliquaient : « Restoring the president’s authority to fire rogue bureaucrats », soit le rétablissement du pouvoir du président afin de renvoyer les bureaucrates « véreux ».

Les purges concernent tous les ministères et sont justifiées par une soi-disant « prise de pouvoir marxiste » sous l’administration Biden. Les États-Unis seraient en état de guerre (civile) intérieure, comme en 1776 et 1860. C’est ce qu’a affirmé le combattant culturel trumpiste Russell Vought, qui a largement contribué au plan gouvernemental « Project 2025 » et est aujourd’hui à la tête de l’autorité budgétaire. Ce faisant, la droite justifie des mesures totalement contraires aux principes de l’état de droit. Le reclassement des employés dont l’embauche est présentée comme « politiquement motivée » doit permettre de licencier des personnes protégées contre le licenciement afin de les remplacer par des partisans de Trump.

Le ministère de l’Éducation est particulièrement visé. Alors que sous la première administration Trump, la ministre Betsy DeVos s’était surtout attachée à privatiser les écoles publiques et à promouvoir l’enseignement à domicile, dans l’intérêt aussi bien des exploitants d’écoles tournés vers le profit que des fondamentalistes chrétiens, la nouvelle ministre Linda McMahon ne se contente plus de promouvoir cette politique conservatrice traditionnelle. Dans le cadre des licenciements massifs au sein de la fonction publique poussés par Elon Musk, il est même envisagé de supprimer le ministère dans son ensemble, car il aurait selon Trump été pris en otage par « des extrémistes, des fanatiques et des marxistes ». Le « système éducatif autrefois excellent » devrait, selon lui, être « arraché des mains de la gauche radicale » et pris en charge par des « patriotes ».

La peur de la mort

L’accusation tirée par les cheveux selon laquelle les universités et les écoles enseigneraient – de manière systématique qui plus est – des contenus d’extrême gauche, voire marxistes, et réprimeraient les autres opinions, apparaît comme l’expression de la folie. La chaîne pro-Trump Fox News va même jusqu’à dire que l’effondrement des cours boursiers lié à la politique douanière des États-Unis est dû à l’infiltration communiste de Wall Street. Mais ce nouveau « style paranoïaque dans la politique américaine », comme l’avait appelé l’historien américain Richard Hofstadter dans les années 1950, n’est qu’un instrument. Il constitue l’idéologie adéquate pour justifier les purges.

Il est intéressant de constater que ce sont précisément les opposants à la « diversité » qui l’invoquent : il s’agirait de rétablir la « diversité » des opinions par-delà « l’endoctrinement de la gauche ». Les étudiants sont invités à dénoncer les enseignants et les professeurs qui, selon eux, présentent les programmes de manière « unilatérale ». Il se construit en réalité un programme antidiversité sous couvert de diversité, d’un combat culturel de droite et de l’éradication systématique de tous les contenus qui ne plaisent pas à la droite et sont combattus comme « wokes » ou « marxistes culturels ».

La mainmise de l’administration Trump sur les différents ministères a permis au nouveau gouvernement de procéder avec facilité à des licenciements massifs, motivés à la fois par l’idéologie et par la politique d’austérité. Rien qu’au cours des deux premiers mois de l’année, 62.530 employés de l’État ont perdu leur emploi sous l’action du « Department of Government Efficiency » (DOGE), un organisme créé spécialement pour Elon Musk. En février, le mois suivant l’arrivée au pouvoir, le nombre de licenciements a augmenté de 245 %, selon les rapports de Newsweek. D’après le New York Post, à la fin du mois de mars, le DOGE avait évincé un total de 280.000 employés fédéraux.

Le levier central de ces purges est, d’une part, l’idéologie de la « discrimination raciale sous couvert d’égalité » et, d’autre part, la sécurité nationale et la prétendue lutte contre l’antisémitisme. En affirmant que « sous couvert d’égalité », les Blancs sont victimes de discrimination, l’administration Trump cherche à supprimer les programmes anti-discrimination de la gauche libérale tels que l’« Affirmative Action », qui ont facilité l’accès des Noirs et d’autres groupes défavorisés à l’enseignement supérieur. En menaçant d’assécher financièrement les universités par le chantage, il s’agit d’amener ces dernières à mettre fin à leurs propres programmes d’égalité et d’inclusion (DEI pour Diversity, Equity, Inclusion) et même à licencier les opposants à Trump, à radier les étudiants et étudiantes de gauche et à supprimer les cursus qui ne conviennent pas. L’administration Trump espère ainsi faire reculer les contenus éducatifs et les intellectuels critiques, sous prétexte de lutter contre l’« endoctrinement de genre ». Les écoles publiques qui enseignent la « Critical Race Theory » et l’« idéologie du genre » devraient également perdre leurs financements. L’objectif, selon l’activiste d’extrême droite Christopher Rufo, qui s’est confié sans détour au New York Times le 7 avril 2025, est de susciter un sentiment de « peur de la mort » (« existential terror ») dans les universités.

La mise au pas des universités

Ce combat culturel connaît actuellement son apogée avec les attaques du gouvernement contre l’université d’élite Harvard à Cambridge, dans le Massachusetts. Le 11 avril, il a envoyé une lettre à son président Alan M. Garber, contenant des exigences qui nécessitent de modifier la constitution de l’université. Il s’agit, entre autres, de supprimer l’autogestion étudiante et de centraliser le pouvoir afin de mieux abolir les programmes d’études sur les inégalités, la discrimination, etc. et procéder au licenciement, au harcèlement et à l’intimidation des scientifiques critiques. C’est ce dernier point qui se cache en effet derrière la demande : que l’université « réduise le pouvoir des professeurs (avec ou sans statut de fonctionnaire) (…) » qui « se consacrent plus à l’activisme qu’à la recherche ». Ces exigences visent également à contrôler les programmes d’enseignement et les procédures d’admission des étudiants.

Harvard est une université élitiste où les contenus socialistes et de gauche sont marginalisés et où l’élite bourgeoise se reproduit – notamment par la pratique d’admissions qui permettent aux descendants d’anciens diplômés d’étudier à Harvard quels que soient leurs diplômes. Cette université doit maintenant aussi être purgée des quelques voix critiques qui subsistaient. Les non-universitaires et la gauche se retrouvent ainsi dans un univers totalement décalé, ce que le magazine satirique américain The Onion a parfaitement résumé : « La nation n’en revient pas : elle est du côté de Harvard ! ».

En plus de Harvard, l’université Johns-Hopkins de Baltimore et 58 autres établissements sont « sous investigation ». Tout cela rappelle la persécution des communistes et la « peur rouge » des années 1950. À l’époque, le mot d’ordre était le suivant : « la liberté de la science » n’est « pas une licence pour le communisme ». Aujourd’hui encore, l’administration Trump utilise une rhétorique anticommuniste pour inciter les élites libérales bourgeoises et conservatrices à livrer les éléments de gauche et à restreindre la science critique, qui n’est déjà le plus souvent que tolérée, afin de se mettre, ainsi que ses institutions, hors de la ligne de tir. Pourtant, au milieu de cette « peur rouge » sans « rouges », les scientifiques libéraux devraient défendre la liberté de la science et l’idée selon laquelle une université ouverte, libre de toute contrainte et de tout contrôle de l’État est un bien public précieux en soi et sert le bien commun.

Des amis scientifiques américains ont raconté à l’auteur avoir été convoqués par leurs présidents d’université, doyens ou directeurs de département, effrayés et intimidés par Trump, et ouvertement menacés de perdre leur emploi. D’autres professeurs, comme Eman Abdelhadi, se font désinviter de conférences au prétexte que l’on ne peut pas assurer leur sécurité. Cette peur qui se propage entraîne une mise au pas : de nombreux professeurs d’université sont constamment à la recherche d’un équilibre entre le sens du devoir moral et politique d’une part et le souci de garder son travail d’autre part, par exemple lorsqu’il s’agit de se rendre à des manifestations contre Trump ou qui dénoncent les crimes de guerre du gouvernement israélien.

Menacés et déportés

Les étudiants et les professeurs d’université qui bénéficient d’un visa d’étudiant ou d’un statut de résident permanent mais ne sont pas citoyens américains sont particulièrement vulnérables. L’administration Trump utilise contre eux le « McCarran-Walter Immigration and Nationality Act » promulgué en 1952 dans le contexte des chasses aux sorcières anticommunistes connues sous le nom de maccarthysme. Les exigences du département de la Sécurité intérieure envers les universités visent à expulser les étudiants et professeurs d’université étrangers de gauche. La ministre Kristi Noem a ainsi demandé à Harvard de fournir des informations détaillées sur les « activités illégales et violentes des détenteurs de visas étudiants étrangers » pour la fin du mois d’avril, sachant que l’organisation d’un camp de protestation contre la guerre à Gaza est déjà considérée comme illégale et violente. Si elles refusent, les universités perdraient leur autorisation d’accueillir des étudiants étrangers.

La direction de l’université Columbia a déjà capitulé devant le pouvoir et livré un de ses étudiants, Mahmoud Khalil, qui avait fondé dans la célèbre université new-yorkaise le camp de protestation pacifique « Revolt for Rafah » afin de dénoncer le soutien américain à la guerre d’Israël contre Gaza. Titulaire d’une carte de résident (« Green Card »), Khalil a été arrêté sous l’allégation douteuse et probablement anticonstitutionnelle qu’il incarnait un « risque au point de vue de la politique extérieure » et emmené à plusieurs milliers de kilomètres de son domicile, dans un centre de détention en Louisiane. Le secrétaire d’État américain Marco Rubio a justifié la déportation en évoquant l’« implication et le rôle de Khalil dans des manifestations antisémites et des activités perturbatrices qui créaient un environnement hostile pour les étudiants juifs ».

Rümeysa Öztürk, doctorante à l’université Tufts, a elle aussi été enlevée en plein jour par des hommes masqués qui n’ont pas justifié leur identité. L’événement déclencheur fut la dénonciation par l’organisation pro-sioniste « Canary Mission » d’un article d’opinion qu’Öztürk avait écrit un an plus tôt pour le journal du campus. Dans cet article, elle et trois autres étudiants avaient demandé à l’administration de l’université d’appliquer une résolution votée par le sénat étudiant visant à qualifier la guerre d’Israël en Palestine de génocide et de mettre fin aux liens économiques avec les entreprises israéliennes. Ses avocats ont perdu le contact avec leur cliente, ce qui réveille le souvenir des personnes disparues sous la dictature de la junte argentine. Öztürk a finalement refait surface en tant que détenue au South Louisiana Processing Center, un centre de détention situé à Basile, en Louisiane, à plus de 2.000 kilomètres de Somerville, dans le Massachusetts, où elle avait été arrêtée en pleine rue.

Tous ces cas de disparition ont été documentés dans un rapport de l’ACLU, l’Union américaine pour les libertés civiles : « Inside the Black Hole: Systemic Human Rights Abuses against Immigrants Detained & Disappeared in Louisiana ». Cela n’allait pas de soi, car l’ACLU a également été purgée de ses éléments communistes pendant la persécution des années 1950.

Des durcissements législatifs à l’échelle régionale permettent également des licenciements systématiques de professeurs titularisés, comme la loi SEA 202 dans l’État de l’Indiana. Au nom de la « diversité intellectuelle », les étudiants peuvent dénoncer anonymement leurs professeurs si leurs programmes leur déplaisent et qu’ils souhaitent les faire taire. La loi oblige la direction de l’université à licencier les professeurs « politiquement biaisés », ce qui signifie toujours orientés à gauche. De telles dénonciations ont déjà conduit dans certains cas au licenciement de professeurs permanents, dont Ben Robinson de l’université de l’Indiana, qui avait exprimé sa solidarité envers un camp de protestation local contre le soutien américain à la guerre de Gaza.

Harvard dit non

L’affaire de Harvard a fait parler d’elle avant tout parce que l’université n’a pas cédé aux pressions du gouvernement. L’université peut se permettre de résister. Fondée en 1636, elle a formé huit présidents et s’appuie sur un capital de 53 milliards de dollars, soit plus que le produit intérieur brut de près de 100 pays dans le monde. C’est pourquoi les universités d’élite de l’Ivy League, dont Harvard fait partie, sont parfois comparées à des fonds spéculatifs avec amphithéâtres.

Le président de Harvard, M. Garber, rejette par principe la liste d’exigences de Trump : « Aucun gouvernement, quel que soit le parti au pouvoir, ne peut dicter à une université privée ce qu’elle peut enseigner, qui elle peut faire étudier, qui elle peut recruter ni quels sont les domaines de recherche et les recherches qu’elle peut mener ». L’université ne renoncera pas « à son indépendance ni à ses droits constitutionnels. Ni Harvard ni aucune autre université privée ne saurait tolérer que « le gouvernement fédéral la mette sous tutelle ».

Le gouvernement a alors gelé 2,2 milliards de dollars de subventions et 60 millions de dollars de contrats gouvernementaux et a également menacé de supprimer un milliard de dollars de recettes fiscales pour la recherche sur la santé. Trump a affirmé publiquement qu’il considérait Harvard comme une « honte », tout en menaçant de retirer à l’université le droit d’accueillir des étudiants internationaux. Il a également ordonné à l’administration fiscale de retirer à Harvard son statut favorable et de la taxer en tant qu’« entité politique ». Il a justifié sa décision sur son propre réseau social « Truth Social » en expliquant que Harvard ne formait « presque que des wokes, des gauchistes et des idiots ». L’université d’élite, qui a produit 162 prix Nobel, serait « une blague », selon Trump. On y enseignerait « la haine et la stupidité et l’on y couvrirait l’antisémitisme. C’est pourquoi Harvard ne devrait plus recevoir de subventions publiques ».

Outre les anciens élèves républicains de Harvard à la Chambre des représentants, Trump a reçu le soutien des « usual suspects », de Fox News et des activistes de droite. L’ancien président de Harvard et ex-ministre de l’économie Larry Summers a par contre qualifié le gel des subventions de « clairement illégal » et a parlé d’un « cas non isolé » qui s’inscrit dans « une tentative plus large de réprimer les institutions qui critiquent le gouvernement ».

L’administration fiscale n’a pour sa part pas encore réagi à la demande de Trump. Il existe un précédent juridique : en 1983, l’université Bob Jones, en Caroline du Sud, s’est vu retirer son statut fiscal favorable par la Cour suprême après plusieurs procédures judiciaires. Si Trump arrivait à faire passer ce projet de loi, cela « causerait un très, très grand dommage à Harvard », a estimé Michael Graetz, professeur de droit fiscal à l’université Yale, à la chaîne d’information publique NPR, également attaquée par Trump. Selon les experts, la probabilité est faible que l’administration fiscale prenne une décision allant dans le sens de Trump. La déclaration du gouvernement selon laquelle la lettre contenant les revendications aurait été envoyée « par erreur » semble également l’indiquer. Ce qui reste, en revanche, ce sont les persécutions et le climat de terreur.

C’est dans ce contexte que le Boston Review a récemment republié un compte-rendu d’Alan Wald sur l’ouvrage « No Ivory Tower », une étude de cas consacrée au maccarthysme dans l’enseignement supérieur. Le seul moyen de neutraliser la Commission des activités antiaméricaines à l’époque, selon la conclusion du livre, était le refus strict et de principe de témoigner, de donner des noms de personnes de gauche pour se protéger, même si cela pouvait signifier perdre son emploi ou aller en prison. Dans une lettre publique adressée au New York Times en 1953, Albert Einstein décrivit ce devoir comme suit : il ne voyait que la « voie révolutionnaire de non-coopération dans l’esprit de Ghandi. Tout intellectuel convoqué par l’une de ces commissions devrait refuser de témoigner et devrait se préparer à la prison ou à la ruine économique (…), dans l’intérêt du bien-être culturel du pays. »

Une résistance se fait jour, qui révèle la profonde fracture entre les libéraux et les démocrates de Sanders. Alors que l’opinion publique libérale et l’establishment démocrate font largement défaut en tant qu’opposition, c’est la gauche qui porte le flambeau de la résistance. Bernie Sanders et Alexandria Ocasio-Cortez, des Democratic Socialists of America (DSA), remplissent des stades et des lieux publics avec souvent plus de 30.000 participants à l’occasion de leur tournée « Fight Oligarchy » à travers le pays. Certains intellectuels s’attendent dès lors à ce que la résistance devienne le catalyseur d’un nouveau mouvement de masse à gauche. Lorsque j’ai rencontré Ashik Siddique, coprésident des DSA, et Bhaskar Sunkara, rédacteur en chef de Jacobin, fin mars, ils m’ont dit que le nombre de membres des DSA avait considérablement augmenté. La barre des 100.000 devrait être franchie d’ici peu. « Dans un système parlementaire comme celui de l’Allemagne », a récemment expliqué Bhaskar dans une interview au Freitag, « la gauche américaine pourrait obtenir 20 à 25 % des voix ».

Traduction d’Ingar Solty, « La culture de la peur », Junge Welt, 3 mai 2025