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Un spectre hante la Belgique

Sébastien Gillard

—30 septembre 2019

La victoire du PTB aux dernières élections est une première dans l’histoire de la gauche radicale belge. Sa réussite met cependant le parti marxiste face au dilemme de la participation gouvernementale.

Après une série de bons sondages, une présence remarquée au sein des mouvements sociaux et de bons résultats aux élections communales d’octobre 2018, le Parti du Travail de Belgique (PTB) a confirmé son nouveau statut de force politique majeure. En convainquant 584 621 électeurs, le parti marxiste a réalisé un score de 8,6% dans le pays (13,8% en Wallonie, 13,5% à Bruxelles et 5,6% en Flandre) lui permettant de se hisser à la cinquième place des partis en nombre de voix (derrière la N-VA, le Vlaams Belang, le PS et le CD&V). Un résultat plus que doublé par rapport à 2014 et l’entrée à la Chambre, au Parlement bruxellois et au Parlement wallon.

En passant de 2 à 12 députés fédéraux, de 0 à 4 députés flamands, de 4 à 11 députés bruxellois, de 2 à 10 députés wallons et de 0 à 1 député européen, le PTB sort très clairement gagnant de ces triple élections de mai 2019 et fait même mieux que ce que lui prédisaient les derniers sondages1. Il a confirmé son assise dans les bassins industriels avec des scores particulièrement impressionnants: 27,55% à Herstal, 22% à Charleroi, 26,51% à Seraing, 22,1% à La Louvière. Par ailleurs, le parti a réalisé des percées dans d’autres villes comme Tournai ou Namur. En région bruxelloise, le succès électoral a été plus surprenant qu’attendu: au-dessus de la barre des 20% à Anderlecht et Molenbeek, ou très près comme à Bruxelles Ville et Saint-Gilles. Youssef Handichi, ex-chauffeur de bus et délégué syndical à la STIB, député bruxellois depuis 2014, et Françoise De Smedt, ex-physicienne à l’hôpital Erasme, réalisent d’impressionnants scores personnels.

En Flandre, où règne désormais une hégémonie de droite, la percée est moins spectaculaire qu’ailleurs. Toutefois, le parti y réalise tout de même une avancée significative avec un score de 5,6%. Il effectue ainsi la deuxième plus grande croissance en Flandre derrière le Vlaams Belang et remplit un de ses objectifs majeurs en envoyant son président, Peter Mertens, à la Chambre des représentants (avec 12,7% des voix exprimés à Anvers ville et avec 7,6% en province d’Anvers) accompagné de deux autres députés fédéraux, Greet Daems de Geel et Steven De Vuyst de Zelzate. Le parti entre aussi pour la première fois au Parlement flamand avec quatre députés. Enfin, il envoie son premier député européen, Marc Botenga, qui rejoint le groupe de la Gauche Unitaire Europe (GUE).

Ces bons résultats sont le fruit d’un travail acharné de la part des militants lors de la campagne électorale, mais pas uniquement. Lors de la grève nationale du 13 février, par exemple, les militants du PTB se sont rendus sur environ 600 piquets de grève pour prêter l’oreille aux revendications et aux priorités des travailleurs. Il s’agissait également d’une occasion en or pour renforcer le parti en glanant les contacts des personnes intéressées d’en savoir plus et souhaitant s’engager et militer avec le PTB. Raoul Hedebouw énoncera cette stratégie lors des meetings de la tournée électorale en blaguant sur la nécessité d’aller convaincre chaque personne «au corps à corps». Un travail intense pour chaque nouveau militant et sympathisant qui semble porter ses fruits. Selon une étude du CEVIPOL2, le PTB (avec Ecolo) présenterait le meilleur «taux de rétention» – pourcentage des électeurs qui ont maintenu leur vote entre 2014 et 2019 – en Wallonie (75%) et à Bruxelles (72,3%).

Fort de ses 18 000 adhérents, le PTB a pu atteindre une couche plus large de la population qu’auparavant… Une audience également élargie par l’entremise des réseaux sociaux avec une créativité et efficacité très remarquées. Le succès du PTB connaitra-t-il un plafond de verre ? Quels sont les défis et les embûches que le parti rencontrera ? Le scrutin de 2019 n’était-il qu’une étape (comme le titrait La Libre en mai dernier)3 ? Quelle sera la suite pour ce parti de gauche radicale pas comme les autres ?

Populisme de gauche ou marxisme ?

Le parti marxiste belge diffère des autres partis européens de gauche radicale et connaît en ce moment une véritable ascension alors que ceux-ci sont en recul ou patinent… Ainsi, au regard des résultats de Podemos (4e parti avec 10,07% des voix) et de la France Insoumise (5e parti avec 6,3% des voix) aux élections européennes, le PTB fait figure d’exception. Exception en terme de succès électoral mais exception idéologique surtout. Alors que Podemos et FI adhèrent au «populisme de gauche» théorisé par les philosophes Chantal Mouffe et Ernesto Laclau, le PTB, quant à lui, fonde ses analyses à partir du marxisme et d’une vision de classes.

Le «populisme de gauche» s’est concrétisé politiquement – avec des particularités locales que nous ne développerons pas ici — et a porté ses fruits (en tout cas dans un premier temps) au Venezuela, au Brésil, en Argentine, en Bolivie ou en Equateur: réduction drastique de la pauvreté, investissements publics importants (notamment dans le secteur de l’éducation ou de la santé publique), accès au logement, autonomisation des femmes par l’emploi,…

Toutefois, après avoir passé les années de forte croissance de la Chine (partenaire économique privilégié) et la chute du prix du baril, les populistes latino-américains peinent à trouver les ressources pour prolonger et approfondir les politiques sociales. Les politiques néolibérales et l’austérité font leur retour, y compris par l’entremise de partis de gauche: sous Dilma Roussef (Partido dos Trabalhadores) au Brésil et sous Lenin Moreno (Alianza Pais) en Equateur par exemple. Pire, au Venezuela, c’est une grave crise économique et sociale, aggravée par la violence de l’opposition, les ingérences étasunienne et le blocus économique, qui frappe désormais le pays…

Régulièrement employé pour désigner le PTB, le qualificatif politique «populiste» se révèle inapproprié pour le classer idéologiquement.

En Europe, le contexte est très différent de celui qui règne en Amérique latine et, malgré des résultats encourageants, les «populistes de gauche» n’ont jamais accédé au gouvernement. S’ils ont eu le mérite de nourrir une critique constructive de la social-démocratie vendue au néolibéralisme, ils peinent à faire perdurer dans le temps une alternative politique solide. Cédric Durand, économiste, et Razmig Keucheyan, sociologue, y voient l’incapacité à «structurer une nouvelle alliance sociale», et ce, à cause d’une vision de la société opposant «peuple» et «élites» où les 99% devraient s’allier face au 1%…4 Au sein du PTB et à sa périphérie, les thèses de Mouffe et Laclau ont déjà été évoquées et critiquées. David Pestieau, vice-président du PTB, a détaillé les divergences que son parti entretient avec le populisme de gauche dans une interview accordée au média français Le Vent se lève5. Aussi lors d’une conférence en ouverture de l’Ecole Karl Marx intitulée «Est-ce que le populisme est le futur du marxisme ?» la réponse à la question a été unanimement négative.

Régulièrement employé pour désigner le PTB, le qualificatif politique «populiste» se révèle inapproprié pour le classer idéologiquement. Il révèle au mieux une méconnaissance des divergences entre «populistes de gauche» et marxistes, plus souvent un moyen de disqualifier le parti en le rangeant dans la catégorie des «partis populistes» aux côtés de l’extrême droite6.

L’expérience Syriza et la fin des illusions électorales

L’accession au pouvoir de la coalition de gauche SYRIZA en Grèce en janvier 2015, le bras de fer engagé avec les institutions européennes et son triste dénouement pour la population grecque, constituèrent une leçon pour le PTB… Alors que c’est avec le KKE qu’il avait l’habitude d’entretenir des relations, le parti belge vantera le succès de la coalition grecque à la sortie des urnes avant de participer à la mobilisation en Belgique pour les manifestations de solidarité et contre la signature du troisième mémorandum.

Après l’écrasement du gouvernement grec par l’Union européenne, il ne se privera pas de critiquer les renoncements de Tsipras et d’en tirer les leçons qui ont mené à l’échec du changement de cap: la rupture effective avec les traités européens d’austérité est essentiel, une réussite électorale n’est pas une fin en soi, la stratégie politique d’un parti de gauche doit se centrer sur le mouvement populaire et l’organisation de celui-ci en un contre-pouvoir fort. Marc Botenga, nouvel eurodéputé du PTB, reprochait ainsi aux néo-réformistes (Syriza en Grèce, ndlr.), comme aux «lexiters» (les partisans de la sortie de l’euro), de «tous deux se [focaliser] sur le gouvernement plutôt que sur le pouvoir, et [de minimiser] l’importance du contre-pouvoir et de l’action extra-parlementaire. D’autre part, le plus souvent, les deux manquent d’ambition et n’offrent comme perspective qu’une meilleure gestion du capitalisme7

Pour le PTB ses parlementaires doivent porter la voix des mouvements sociaux dans les parlements dans le but de renforcer les mobilisations.

C’est dans ce sens que le PTB pense le rôle de ses parlementaires, ceux-ci doivent porter la voix des mouvements sociaux dans les parlements dans le but de renforcer les mobilisations. Il s’agit du concept de «rue-conseil-rue» repris et développé lors du Congrès de la solidarité du PTB en 2015: «Pour nos députes aussi vaut le principe ‘rue-conseil-rue’. Ils relaient la voix de la lutte sociale, écologique, démocratique et culturelle au sens large. Le travail de nos députes a pour but de renforcer la capacité de mobilisation, la force organisationnelle, le travail de sensibilisation du parti et la force de frappe du monde du travail. (…) Nous voulons que nos parlementaires soient comme des poissons dans l’eau. Et cette eau, ce n’est pas le Parlement, mais bien le quartier populaire, le lieu de travail, le groupe d’action, l’association, le syndicat ou le comité de quartier. Nos parlementaires doivent rendre compte de leur mandat et c’est là qu’ils doivent le faire, pas envers les élus des autres partis. C’est important, et nous devons donc l’organiser8

L’impossible coalition de gauche

Au lendemain des élections du 26 mai, les arithméticiens se sont empressés de souligner la possibilité de composer une «coalition de gauche» pour empêcher le retour des libéraux au pouvoir et impulser enfin une politique de gauche en Wallonie… Mais, les visées politiques réelles, celles qui dépassent le contexte de la campagne électorale, ont leurs raisons que l’arithmétique ignore. Alors que le PTB s’était très clairement prononcé sur la nécessité de remettre en question le carcan budgétaire européen et de désobéir à ses injonctions, les deux autres partis de gauche n’ont pas évoqué cette condition pour mettre en place une politique progressiste.

Prenons un exemple, celui du transport public et la question du rail en particulier. Le PS déclare, dans son programme, vouloir « investir significativement dans les transports publics, afin de renforcer l’offre et la qualité du service, tout en garantissant des prix modérés» ainsi que «lutter contre toute forme de privatisation9». De son côté, Ecolo propose d’ «investir 7 milliards sur 5 ans dans la SNCB, les TEC et la STIB pour augmenter massivement le nombre d’utilisateurs des transports en commun et partagés, garantir une place assise pour chaque voyageur, améliorer la ponctualité, élargir les horaires, proposer de nouveaux parcours et rouvrir des points d’arrêt10». Cependant, ces propositions semblent condamnées à rester à l’état d’intentions pieuses.

Une réussite électorale n’est pas une fin en soi, la stratégie politique d’un parti de gauche doit se centrer sur le mouvement populaire.

En effet, en l’absence totale d’une énonciation des moyens à mettre en œuvre pour permettre ces choix politiques, il est permis de douter de leur réalisation effective. Si le Parti Socialiste évoque bien la «libéralisation du transport qui est en cours au niveau européen» et dit s’opposer «à toute scission et privatisation du rail»11, on peut s’interroger sur cette promesse. En 2004, le socialiste flamand Johan Vande Lanotte, Vice-Premier ministre en charge du Budget et des Entreprises publiques au sein du gouvernement Verhofstadt II, proposait de scinder la SNCB en deux entités suite à un prescrit de la Commission européenne. Le PS est dans la majorité, il ne bronche pas. En 2011, après avoir battu le record de la plus longue période sans gouvernement de plein exercice, la Belgique voit naître le gouvernement Di Rupo composé des six partis traditionnels: PS et SP.a, MR et Open VLD, CDH et CD&V. Dans l’accord gouvernemental, on peut lire au rayon des mesures budgétaires proposées: «Économies dans les entreprises publiques autonomes (groupe SNCB, bpost) tout en garantissant la qualité des services aux citoyens, notamment en ce qui concerne la sécurité du rail au sein du groupe SNCB12.» On le voit, le PS a davantage accompagné les injonctions à l’austérité et au cheminement vers la libéralisation du rail qu’il n’y a résisté… C’est d’ailleurs Paul Magnette, possible futur président du PS, qui a mis en place la scission entre SNCB et Infrabel. Ecolo, quant à lui, a dénoncé le désinvestissement depuis l’opposition mais sans faire le lien avec la nécessité de désobéir aux différents textes européens qui le prônaient. A l’aune de cette expérience, les propositions de ces deux partis risquent d’être les renoncements de demain. La tâche sera d’autant plus ardue suite au vote, en 2016, du quatrième paquet ferroviaire européen et la libéralisation du transport national de passagers, votée en décembre dernier, qui mettrait en danger le monopole de la SNCB sur le traffic des voyageurs à l’horizon de 202313.

Les travailleurs au Parlement

Le PTB se démarque ainsi des autres partis européens de gauche radicale par la centralité qu’il continue d’accorder à la lutte des classes et par la distinction qu’il opère entre présence au gouvernement et réel pouvoir politique en vue de transformer la société. Il nourrit, à l’instar des partis populistes, un positionnement anti-establishment qu’il combine à la mise en avant de mesures phares: transport en commun gratuit, investissements dans les logements sociaux, réduction du train de vie des élus,… Mais il ne déconnecte pas cette posture du clivage gauche-droite et de la divergence des intérêts économiques entre classes sociales.

Caissière, sidérurgiste, institutrice, chauffeur de bus ou nettoyeuse dans les avions, le PTB a envoyé dans les différents parlements du pays des femmes et des hommes aux intérêts de classe plus proches de ceux des travailleurs que les députés traditionnels.

Loin d’instrumentaliser les classes populaires, le parti oeuvre surtout à leur émancipation et à leur politisation à l’image du rôle que prirent les partis communistes occidentaux dans l’après-guerre. Une tradition politique abandonnée par le Parti Communiste Français et qui constitue, selon Julian Mischi14, une des causes du déclin de son assise électorale.

Les visées politiques réelles, celles qui dépassent le contexte de la campagne électorale, ont leurs raisons que l’arithmétique ignore.

Aux origines sociales plus diverses s’ajoute une pratique politique qui va à l’encontre de celle des autres partis au sein des différents hémicycles du pays: le refus de l’embourgeoisement. En reversant à leur parti environ 2/3 du salaire de député pour ne conserver qu’un salaire de travailleur, les élus PTB mettent en application un des principes prônés par Lénine dans l’Etat et la révolution et déjà mis en application lors de la Commune de Paris en 1871. En plus de constituer une source de revenus considérable pour financer les campagnes du parti, ce choix politique convainc de nombreuses personnes dans la population, dégoutées par la corruption et le train de vie des politiciens traditionnels. C’est une manière claire et rapide de prouver que les députés communistes ne peuvent être assimilés aux autres, qu’ «ils ne sont pas comme les autres». Un argument qui percole d’autant plus chez les potentiels électeurs que le niveau de confiance moyen dans les hommes et femmes politiques est remarquablement bas selon plusieurs études dont l’étude du CEVIPOL citée plus haut15. À la tribune, les députés PTBistes invoquent les conditions de vie des travailleuses et des travailleurs qu’ils rencontrent.

De cette façon, ils pointent l’urgence sociale des mesures qu’ils préconisent et humanisent des débats jusque là circonscrits aux aspects techniques et juridiques. Emplois précaires, difficulté d’accès à un logement social, pauvreté,… En plus des rapports chiffrés et des études quantitatives, le PTB se présente comme le relais politique des témoignages sociaux qui décrivent la froide réalité du capitalisme néolibéral et ses effets sur les vies. On retrouve là une stratégie politique employée par l’auteur et le député de la gauche radicale François Ruffin en France et théorisée par le philosophe et économiste Frédéric Lordon: il ne suffit pas d’avancer des idées progressistes et de les défendre, il faut les charger en affects pour que les principaux concernés y adhèrent puis s’en emparent.16

La course contre la montre

Tax-shift, pensions, coût de l’électricité,…: les questions sociales ont été omniprésentes lors de la législature du gouvernement Michel et, ensuite, pendant la campagne électorale. Pourtant, la droite nationaliste n’a pas ménagé ses tentatives nauséabondes pour imposer la question de l’immigration et diviser la population. Ainsi, la N-VA a provoqué la chute du gouvernement en s’opposant au Pacte mondiale sur les migrations, ou «Pacte de Marrakech», alors que celui-ci n’était pas juridiquement contraignant. Dave Sinardet, politologue de la VUB, remarquait au micro de la RTBF que «les gens ont voté clairement à droite sur le plan de l’immigration, de l’intégration et de la sécurité […] mais […] on ne peut pas dire que le résultat des élections flamandes est nécessairement un virage à droite sur le plan socio-économique, vu notamment le positionnement du Vlaams Belang pendant la campagne17».

Les partis traditionnels sont sanctionnés et la prédominance des questions sociales semble donc inéluctable… Au sud du pays et à Bruxelles, c’est le PTB qui a capté en grande partie cette colère. Une part grandissante de la population croit en la sincérité du PTB et à la fidélité que ses représentants octroieront à la défense d’une politique sociale. Au nord du pays, c’est le Vlaams Belang qui capte, pour l’instant, en majorité les votes contestataires avec un cocktail inspiré de celui du Front National: racisme et promesses sociales. Le PTB réalise avec 5,6% des votes une première percée en Flandre. Il y a là une véritable course pour capter la colère des gens et parvenir à la canaliser dans un projet pour plus de justice et d’égalité plutôt que dans un projet nationaliste et raciste.

Au sud du Pays, le défi est d’une autre nature. Accusé par le Parti Socialiste, mais aussi par de nombreux éditorialistes et intellectuels défendant la même thèse18, de ne pas savoir faire preuve de compromis, le PTB devra redoubler de travail militant pour aller à l’encontre de cette critique qui gagne une partie de ses sympathisants. Le travail politique n’est donc pas mince en Wallonie et à Bruxelles car il faudra convaincre les électeurs d’aller au-delà du choix électoral, de s’engager politiquement et de bâtir ce fameux contre-pouvoir.

Pour réaliser ses objectifs de transformation sociale, le chemin à parcourir est encore long pour le PTB et ses militants tant la politique se limite encore aujourd’hui pour beaucoup aux élections, puis au travail parlementaire. Ce parcours sera truffé d’embûches par les institutions et les partis au service du capitalisme… Pourtant, il devra être réalisé dans un temps record, tant les menaces planent: confédéralisme, nouvelle crise financière, crise climatique ou montée du racisme, de l’autoritarisme et des partis d’extrême droite.

Alors que les élections de mai dernier ont révélé une nouvelle crise politique, les partis traditionnels persévèrent dans la construction de bricolages politiques devant répondre aux «impératifs budgétaires» fixés par la Commission européenne. Ces impératifs, qui divergent à 180 degrés de ceux exprimés par les électeurs, sont ceux des classes dominantes: empêcher les investissements publics pour réserver les secteurs d’activité au privé, empêcher la progression des salaires pour garantir la hausse des profits. Ils perpétuent une politique favorisant privatisations, flexibilisation et précarisation de l’emploi et austérité. Lors des 5 dernières années, le gouvernement Michel a pris cette voie de manière tout à fait décomplexée, sans avoir le cœur qui saigne. Il a favorisé les emplois temporaires davantage qu’auparavant (102.500 sur 200.000 emplois créés)19. Cette précarisation de l’emploi touche davantage les jeunes (15-34 ans) qui représentent plus 70% des emplois temporaires créés et qui subissent dans le même temps des pertes en terme d’emplois permanents20. Le gouvernement Michel a opéré un saut d’index, durcit la loi de 1996 avec le gel de salaires, augmenté la TVA sur l’électricité, les accises sur le diesel, le coût de la consultation chez certains spécialistes médicaux ainsi que celui de certains antibiotiques,… Il a appliqué l’austérité aux soins de santé avec des économies de 2,1 milliards d’euros et l’absence de refinancement des hôpitaux; à la SNCB avec des économies de 3 milliards d’euros; à la justice avec la suppression de l’exemption de TVA sur les frais d’avocats ou la fermeture de lieux de justice… Face à cette politique de droite dure, les syndicats ont répondu en mobilisant massivement lors des deux premières années de la législature mais ne sont pas parvenu à faire reculer significativement le gouvernement. Ils ont réussi, tout au mieux, et ponctuellement, à le faire ralentir sur certains sujets comme par exemple le projet de pension à points.

La résonnance du mouvement des Gilets jaunes en Belgique et la sympathie qu’il a suscité (y compris chez les militants syndicaux) témoigne du scepticisme concernant l’efficacité de l’approche actuelle réformiste des directions des syndicats, historiquement liées aux partis traditionnels via les trois piliers (social-démocrate, démocrate chrétien et libéral) influant sur l’organisation de la société belge. Si le PTB a pour ambition d’organiser un «contre-pouvoir venu d’en bas », il agira sur les plates-bandes jusque là dominés par la social-démocratie et la démocratie chrétienne. S’il oppose à la ligne réformiste actuellement dominante, une vision révolutionnaire reconnaissant et assumant la lutte des classes, il pourrait entraîner des débats stratégiques et idéologiques qui, à terme, pourraient changer les rapports de force au sein des syndicats et donc faire évoluer (et radicaliser ?) leurs modes d’action. Le PTB ne pourra pas se contenter de mettre à l’agenda les thèmes sociaux. Il devra prouver son efficacité et sa puissance politique en organisant et en faisant converger les colères, en continuant à prôner la politisation et l’émancipation des travailleurs pour qu’ils soient les acteurs du changement. Les défis sont immenses car ils sont à la mesure des transformations à opérer.

Footnotes

  1. Benoît Mathieu, «Dix clefs pour décortiquer les résultats de ce dimanche», L’Echo, 25 mai 2019.
  2. Close, Delwit, Lebrun, Legein et Ognibene, «Comprendre le vote du 26 mai 2019 en Wallonie. Analyses des données issues de l’enquête sortie des urnes », Centre d’ étude de la vie politique de l’ULB, 2019.
  3. Stéphane Tassin, «Pour le PTB, le scrutin de 2019 est juste une étape», La Libre, 7 mai 2019.
  4. Cédric Durand et Razmig Keucheyan, «Le «populisme de gauche» est mort», L’Obs, 7 juin 2019.
  5. Maximilien Dardel, «Le PTB fait trembler la politique belge – Entretien avec David Pestieau », Le Vent se lève, 15 janvier 2018.
  6. Sébastien Gillard, «Populisme, de quoi parle-t-on?», POUR, 3 avril 2018.
  7. Marc Botenga, «Les illusions du «Lexit»», Lava, 5 avril 2018.
  8. PTB, Elargir, Unir, Approfondir. Congrès de la solidarité 2015. p. 111.
  9. Voir http://explorateur.wilfriedmag.be/programmes/2019_PS_ALL.pdf#page=420.
  10. Voir http://explorateur.wilfriedmag.be/programmes/2019_ECOLO_ALL.pdf#page=13.
  11. Voir http://explorateur.wilfriedmag.be/programmes/2019_PS_ALL.pdf#page=422.
  12. Accord de gouvernement, p. 78. Voir www.lachambre.be/kvvcr/pdf_sections/searchlist/Accord_de_Gouvernement_1er_decembre_2011.pdf.
  13. Lievens, Van Keirsbilck et Malay, «La libéralisation du rail: une route sinueuse et pas sans danger», Econosphères, 16 mai 2019. Texte disponible à l’adresse: www.econospheres.be/La-liberalisation-du-rail-une-route-sinueuse-et-pas-sans-danger.
  14. Julian Mischi, Le communisme désarmé, Marseille, Agone, 2014.
  15. Close, Delwit, Lebrun, Legein et Ognibene, op. cit.
  16. Frédéric Lordon, La société des affects, Paris, Points, 2015. Frédéric Lordon, Les affects de la politique, Point, 2018.
  17. RTBF, «Mission des informateurs royaux prolongée: «Un record»», 30 juillet 2019.
  18. Claude Demelenne, «Pourquoi le PTB traite le PS comme un punching ball», Le Vif, 15 juillet 2019.
  19. Alessandro Grumelli: «Le véritable bilan emploi du gouvernement Michel», Econosphères, 6 juin 2019. Texte disponible à l’adresse: www.econospheres.be/bilan-Michel.
  20. Ibid.